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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


auprès d’elle, était partie seule pour les Rochers, au mois de mai 1680. Sévigné eût bien voulu la suivre par amour pour elle et par amour pour la Bretagne ; mais son devoir ne lui permettait pas de l’aller rejoindre avant trois ou quatre mois. Il était resté à Fontainebleau, où se trouvait alors la cour. Sa mère, on le voit bien, aurait souhaité que les fêtes brillantes et tous les plaisirs qui l’entouraient eussent pu faire diversion à ses projets de vie bretonne. Pour lui donner le goût de la cour, elle feignait d’en sentir elle-même les charmes bien plus vivement, nous le croyons, qu’elle ne le faisait en effet. « Je lui mande, écrivait-elle à sa fille, que c’est un grand plaisir que d’être obligé d’y être, et d’y avoir un maître, une place, une contenance ; que pour moi, si j’en avois eu une, j’aurois fort aimé ce pays-là ; que ce n’étoit que pour n’en avoir point que je m’en étois éloignée ; que cette espèce de mépris étoit un chagrin, et que je me vengeois à en médire, comme Montaigne de la jeunesse ; que j’admirois qu’il aimât mieux passer son après-dînée comme mademoiselle du Plessis et mademoiselle de Launaie, qu’au milieu de tout ce , qu’il y a de beau et de bon[1]. » Mais les séductions de son éloquence étaient en pure perte. Sévigné brûlait de revoir son cher pays, avec une ardeur de patriotisme que sa mère comparaît à celui des Romains. Il espérait bien que, lorsque le roi l’aurait vu à la tête de sa compagnie, on ne lui en demanderait pas davantage, et que sa liberté lui serait rendue. Madame de Sévigné s’étonnait « qu’il appelât ses chaînes et son esclavage, ce qu’un autre appelleroit sa joie et sa fortune. » — « Si j’avois voulu, disait-elle, faire un homme exprès, et par l’esprit et par l’humeur, pour être enivré de ce pays-là, et même pour être assez propre à y plaire, j’aurois fait à plaisir M. de Sévigné ; il se trouve que c’est précisément le contraire[2]. » Ce n’était point que Sévigné, en attendant qu’il lui fût permis de voler vers ses chers Bretons, ne cherchât quelque distraction à Fontainebleau ; mais il en cherchait ailleurs qu’à la cour. Il la négligeait beaucoup, tandis qu’il y avait une grande maison, dont il ne sortait pas. C’était la maison d’une duchesse, que l’on croit bien être la duchesse de Ventadour, future gouvernante des enfants du duc de Bourgogne,

  1. Lettre du 31 mai 1680.
  2. Lettre à madame de Grignan, 3 juillet 1680.