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NOTICE BIOGRAPHIQUE


d’une contrariété bien légère de madame de Grignan, pour que madame de Sévigné s’apitoyât sur le sort de sa fille, et criât au crime de lèse-divinité.

À voir avec quelle peine elle se laissait arracher sa fille, on croirait que, pendant ces deux années, la mauvaise santé de cette fille avait été son seul chagrin, et que les scènes pénibles qui les avaient forcées, en 1677, à se séparer après si peu de temps, ne s’étaient pas renouvelées. Nous avons malheureusement la preuve du contraire. Ces deux années, qui avaient paru de si courte durée à l’insatiable tendresse de madame de Sévigné, avaient été cependant troublées par beaucoup d’orages, et auraient dû lui laisser le souvenir surtout de bien des douleurs. Ce qui paraît le plus excusable dans la conduite de madame de Grignan à cette époque, parce qu’un excès d’amitié jalouse pour sa mère l’expliquerait, c’est la dureté des paroles qu’elle lui adressait à propos des soupçons qu’elle avait conçus contre Corbinelli : elle s’était imaginé qu’il voulait lui ôter le cœur de madame de Sévignè[1]. Mais elle avait bien autrement sujet de témoigner son repentir et de demander pardon pour ce défaut d’ouverture de cœur et « cette séparation de toutes sortes de confidences, » qui affligeait à si bon droit sa mère. Ce manque de confiance avait mis, cette fois encore, tant de malaise entre elles, que madame de Grignan

avait été obligée de dire à sa mère : « Vous serez trop heureuse quand je serai loin de vous : je vous donne mille chagrins, je ne fais que vous contrarier. » Madame de Sévigné lui écrivait en ce temps-là : « Je voyois des froideurs, sans les pouvoir comprendre[2]. » Et dans une autre lettre, où elle combattait la pensée que les raisonnements du philosophe Corbinelli pussent la refroidir pour sa fille : « Le changement de mon amitié pour vous n’est pas un ouvrage de la philosophie ni des raisonnements humains : je ne cherche point à me défaire de cette amitié, ma fille ; si dans l’avenir vous me traitez comme on traite une amie, votre commerce sera charmant... Si votre tempérament, peu communicatif, comme vous le dites, vous empêche encore de me donner ce plaisir, je ne vous en aimerai pas moins[3]. » Elle disait

  1. Lettre de madame de Sévigné, 18 septembre 1679.
  2. Lettre du 4 octobre 1679.
  3. Lettre du 20 octobre 1679.