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NOTICE BIOGRAPHIQUE


Provence. En 1687, la même libéralité fut encore demandée et accordée. Madame de Grignan profita aussi de l’accueil bienveillant qui lui était fait à la cour pour y produire le jeune marquis, son fils. Il n’avait que treize ans lorsqu’elle commença à l’y mener, et qu’il fut présenté au roi, au commencement de 1685. On espérait lui faire obtenir la survivance de la charge de son père.

Malgré la faveur qu’elle trouva à la cour, madame de Grignan n’y fut pas à l’abri de quelques petites contrariétés, qui ne pouvaient sans doute nuire à sa fortune, mais faisaient à son amour-propre de douloureuses piqûres. Un grand usage du monde, des habitudes d’autorité et de domination presque royale dans sa province, n’avaient pu vaincre entièrement la timidité naturelle qui s’était toujours alliée chez elle à une fierté impérieuse. Quand elle demanda au roi, en 1684, une gratification pour M. de Grignan, elle ne lui put adresser la parole qu’avec un trouble extrême, et comme abandonnée de toutes ses pensées. Une autre mésaventure, qui lui arriva dans l’été de 1685, lui fut bien plus désagréable encore et paraît l’avoir beaucoup tourmentée. Au jeu du roi à Marly, elle renversa des pistoles qui étaient sur le bord de la table. M. le Duc la pria, avec une bonté un peu railleuse, de ne pas tout jeter à terre. Au milieu d’une telle assemblée, où tous les mouvements de chacun étaient réglés par le respect et par une sévère étiquette, c’était presque un événement. Madame de Grignan, avait à soutenir bien des regards moqueurs ; sa confusion fut grande, elle perdit contenance, et trouva qu’elle expiait bien chèrement l’honneur d’une invitation toujours si recherchée. Il fallut que sa mère, à qui elle écrivit son malheur, la rassurât sur les suites d’une pareille bagatelle[1]. Le petit Coulanges lui adressa aussi ses compliments de condoléance, et l’engagea à laisser dire les méchantes langues. « Ce n’est que l’envie, lui écrivait-il, qui fait parler contre vous ; c’est un grand crime à la cour que d’avoir plus d’esprit et de beauté que toutes les femmes qui y sont. » Il est probable aussi que si le même accident fût arrivé à une personne d’un caractère moins hautain, on eût été moins impitoyable pour sa

  1. Lettre du 12 août 1685.