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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


gaucherie, et l’on eût moins joui de son embarras. L’anecdote est bien frivole sans doute ; mais, en même temps qu’elle peint la cour, le chagrin qu’eut alors madame de Grignan est un trait de son caractère.

Tandis qu’elle vivait de cette vie de la cour, où quelques dégoûts se mêlent toujours aux plus brillantes satisfactions de la faveur, son frère se tenait plus que jamais éloigné de cet étrange pays. Il était entré dans une existence nouvelle, où il trouvait le repos et le bonheur, et qui jetait son âme dans un nouveau courant de sentiments et d’idées. Le 8 février 1684, il épousa la fille d’un conseiller au parlement de Bretagne, M. de Brehant, baron de Mauron, dont la femme était une Quelen. La nouvelle marquise de Sévigné se nommait Jeanne Marguerite de Mauron. Ce fut, comme le faisait remarquer madame de Sévigné, un grand mariage pour la fortune, dans un temps où l’argent était devenu rare. Il dépassait les espérances qu’elle avait pour ce fils qui n’avait plus aucune charge, et avait renoncé à toute ambition. M. de Mauron, riche de soixante mille livres de rente, donnait deux cent mille francs à sa fille. Il fut convenu, dans le contrat, que cinquante mille francs pris sur cette dot seraient employés à rembourser M. d’Harouys d’une somme égale qu’il avait prêtée à madame de Sévigné. La terre de Bodegat fut constituée en dot à M. de Sévigné ; sa mère ne se réserva que son douaire sur la terre du Buron et mille francs de rente viagère, dans le cas où son fils viendrait à mourir avant elle. Quelques jours après le mariage, sa belle-fille voulut que cette rente fût portée à quinze cents francs. Dans ce même contrat de son fils, madame de Sévigné abandonna à madame de Grignan la nue propriété de Bourbilly, pour la remplir des cent mille francs qui restaient dus sur sa dot. C’est ainsi que cette excellente mère, dont la belle fortune avait été épuisée par les sacrifices qu’elle avait faits pour ses enfants, achevait de se dépouiller de tous ses biens en leur faveur.

Quoique, par son désintéressement, madame de Sévigné eût, en ce qui la touchait, rendu plus facile la conclusion de ce mariage avantageux, on avait eu beaucoup de peine à signer les articles, et M. de Mauron avait été plusieurs fois sur le point de tout rompre. Quelques semaines après le mariage,