représente à soixante ans, ayant conservé, même alors, quelques droits à son surnom de mère-beauté, et surtout si charmante toujours par sa gaieté et son incomparable esprit, on
ne s’étonne pas trop de la voir recherchée encore en mariage.
Un peu avant qu’elle quittât les Rochers, en 1685, plusieurs
de ses amis, entre autres Emmanuel de Coulanges et madame
de la Fayette, avaient appuyé auprès d’elle une proposition
du duc de Luynes, fils de son ancienne amie la duchesse de
Chevreuse. Devenu veuf pour la seconde fois vers la fin de 1684,
le duc de Luynes songeait à se remarier ; il était alors dans sa
soixante-cinquième année. C’était un homme de beaucoup
d’esprit, savant, qui parlait avec beaucoup de facilité et de
justesse[1]. Il avait longtemps vécu dans la retraite à Port-Royal
des Champs, et dans l’amitié des plus illustres solitaires, par
conséquent des plus anciens amis de madame de Sévigné. Il y
aurait eu de ce côté entre les deux époux une communauté de
sentiments, en même temps qu’un goût semblable pour le
cartésianisme aurait pu rendre ce beau~père agréable à madame de Grignan. Le duc de Luynes avait tendrement aimé
ses deux premières femmes, et était très-disposé à une égale
affection pour la troisième. Enfin sa naissance, son titre de
duc et de chevalier des ordres du roi n’étaient pas à dédaigner. C’eût été là pour madame de Sévigné un très-noble et
très-grand mariage. Ses amis sans doute firent valoir tout
cela ; mais elle avait résolu depuis trop d’années d’être tout
entière et sans partage à ses enfants, pour vouloir, à cet âge,
mettre un autre intérêt dans sa vie. Elle repoussa la proposition, comme une vision et une folie. Son refus, bientôt décidé,
fut aussi bientôt connu, puisque, dès le mois de juillet 1685,
le duc de Luynes se maria. Par le choix qu’il fit, il ne déshonora pas celui auquel il avait d’abord songé. Il épousa la fille
du chancelier d’Aligre, veuve du marquis de Manneville ; elle
était d’une quinzaine d’années plus jeune que madame de Sévigné, elle avait été belle, c’était une femme de beaucoup de
sens et de vertu.
Quelques années plus tard, en 1689, madame de Sévigné se
- ↑ Mémoires de Saint-Simon, tome X, p. 267. Voir aussi le duc de Luynes, Port-Royal par M. Sainte-Beuve, tome II, p. 306-316.