Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
278
NOTICE BIOGRAPHIQUE


soixante-quatorze chevaliers dans l’ordre du Saint-Esprit. C’était la seule grande qu’on eût faite depuis 1661. « Bien des lieutenants de roi des grandes provinces, qui comptoient que cet honneur leur étoit presque dû, en furent privés, dit madame de la Fayette[1], entre autres les trois de Languedoc. »

M. de Grignan n’eut pas ce déboire ; il fut compris dans la promotion. La cérémonie de la réception des chevaliers devait avoir lieu le premier janvier. Le roi permit au comte de Grignan de ne point venir. Le cordon bleu lui fut envoyé en Provence, où il n’y avait que lui et l’archevêque d’Arles, son oncle, qui en fussent décorés. La dispense de la cérémonie fut regardée comme une faveur, et madame de Sévigné, quelle qu’eût été sa joie de revoir, à cette occasion, son gendre et sa fille, vit avec plaisir une grande dépense épargnée ; car les difficultés d’argent étaient toujours la plaie de cette maison de Grignan ; et elles n’étaient pas diminuées par les dépenses qu’il fallait faire pour le jeune capitaine. Cependant Avignon fut dans ce temps-là une belle ressource venue très à-propos. Le roi, qui avait alors de fort graves démêlés avec le pape Innocent XI, et dont l’affaire de l’électorat de Cologne avait porté le mécontentement au comble, s’était saisi d’Avignon. C’était M. de la Trousse, le cousin de madame de Sévigné, le lieutenant des gendarmes-Daupbin, sous qui son fils avait servi, qui avait été chargé de cette exécution. Les troupes françaises s’étaient emparées de la ville des papes le 7 octobre 1688. M. de Grignan fut chargé du gouvernement du Comtat en même temps que de celui de la Provence. Les états de ce nouveau gouvernement lui donnaient environ vingt mille francs par an. Madame de Sévigné trouvait, avec raison, que c’était une grande douceur, un secours de la Providence, dont il fallait profiter, non pour en vivre plus largement, mais pour soutenir leur enfant. Le comte de Grignan, comme nous le verrons, n’en put jouir qu’une année.

Si le service du roi avait ses agréables récompenses, il imposait aussi de pénibles devoirs. Dans le temps où M. de Grignan venait de recevoir ces deux grandes faveurs du cordon bleu et du

  1. Mémoires de la cour de France, pour les années 1688 et 1689, p. 82, Amsterdam, 1742.