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NOTICE BIOGRAPHIQUE


pas été seulement de l’ingratitude, mais aussi une maladresse, une mauvaise politique : madame de Sévigné avait alors besoin, pour son fils, de leur protection ; car ce sage, retiré du monde, ce paisible anachorète, était tourmenté d’une ambition : ce n’était point, il est superflu de le dire, une de ces ambitions de cour, qu’il n’avait jamais eues, et dont il était plus éloigné que jamais ; c’était une ambition toute bretonne. Il aimait ce pays ; il s’y était fait considérer. Le choix que la noblesse de son canton avait fait de lui pour commander son arrière-ban, avait été une preuve éclatante d’estime. Maintenant il aspirait à être le député de la noblesse de Bretagne pour porter au roi le don des états : cela s’appelait la grande députation. « C’est son affaire, disait sa mère, et si c’est la fête de la noblesse de Bretagne, comme il semble que cela doit être, et non pas d’un courtisan, cela tombe droit sur mon fils[1]. » Ce désir si légitime d’une honorable distinction dans sa chère province, il n’est pas même bien certain que Sévigné eût été très-ardent à le former et à en poursuivre le succès, si l’on n’avait beaucoup fait pour l’y pousser. On voit, du moins, dans une de ses lettres, qu’il parlait de lui-même comme d’un candidat malgré lui[2]. Mais qu’il ait plus ou moins spontanément souhaité cet honneur, il avait fini par y tenir ; et sa mère aussi y tenait beaucoup. On pensait qu’il dépendait du duc de Chaulnes de le lui faire obtenir. Ce n’était pas qu’il en disposât tout à fait. Depuis quatre ou cinq ans, la désignation des députés, qui, par un ancien usage, appartenait dans toutes les provinces aux gouverneurs, avait été retirée au gouverneur de Bretagne. Le roi les choisissait : et madame de Sévigné s’en indignait vivement. Elle attestait le contrat de mariage de la grande héritière de Bretagne et les vieilles prérogatives d’un pays si longtemps libre. Il lui paraissait de toute justice que le gouverneur choisit en Bretagne un Breton pour porter au roi les compliments de sa province. C’était un grand sujet de querelle entre elle et les Grignan, à qui elle s’étonnait de voir prendre le parti de l’usurpation royale contre les gouverneurs. Elle s’exprimait à ce sujet avec une très-grande

  1. Lettre à madame de Grignan, 2 août 1689.
  2. Lettre du 21 septembre 1689.