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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


liberté, en véritable frondeuse, disant à sa fille : « C’est à vous au moins que je me fie ; car ailleurs je ne trouve rien de si joli que de savoir ainsi mettre les grands à la raison[1]. » Mais, quoique le duc de Chaulnes, dans ce choix des députés, ne pût rien que par voie de recommandation au roi, il croyait, et tout le monde avec lui, que sa sollicitation en valait bien une autre. C’était donc sur lui que madame de Sévigné comptait pour son fils ; et elle ne pouvait trop le ménager.

Pendant ce voyage sur les côtes de Bretagne, où, pour lui complaire, elle l’accompagna, le duc avait reçu d’importantes dépêches qui le firent promptement revenir à Rennes, et qui, par plusieurs raisons, émurent beaucoup madame de Sévigné. Le gouverneur de Bretagne était chargé d’une ambassade extraordinaire à Rome. La mort prochaine du pape Innocent XI était prévue, on allait avoir bientôt à donner un nouveau chef à l’Église ; et dans une conjoncture si importante pour la France, nul homme n’avait paru plus propre à bien diriger l’influence française que celui dont les services, au temps des deux précédentes exaltations, avaient été fort appréciés, et qui avait, dit Saint-Simon, sous la corpulence, l’épaisseur et la physionomie d’un bœuf, l’esprit le plus délié et le plus fin. Sévigné allait perdre son protecteur ; mais sa mère espérait qu’avant de partir, M. de Ghaulnes pourrait le proposer pour la députation. Elle prenait, par un autre côté, un grand intérêt à ces affaires de Rome. On annonçait que le pape ne pouvait vivre longtemps, « ce cher saint-père, disait madame de Sévigné, qui nous laissoit ce bienheureux Comtat. » Tandis que la mort d’Innocent XI était la chose du monde qu’on souhaitait le plus en France[2], madame de Sévigné faisait les vœux les plus ardents pour la conservation de ses jours, à laquelle était attachée celle d’un si beau revenu pour madame de Grignan. Les bonnes relations que M. de Chaulnes était chargé de rétablir avec Rome par la restitution d’Avignon, allaient coûter vingt mille francs de revenu annuel au lieutenant général de Provence.

L’affaire de la grande députation tourna mal, ainsi que celle

  1. Lettre du 6 novembre 1689.
  2. Madame de la Fayette, Mémoires de la cour de France, p. 220.