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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


ou qu’elle se trouvât bien d’un plus long sommeil de sa dépense, et que Paris, sans sa fille, n’eût rien qui l’attirât, elle prolongea sa retraite aux Rochers pendant le printemps et l’été de 1690. Les lettres qu’on a de ce temps sont fort rares. Il n’y a peut-être pas d’invraisemblance à supposer que celles qui nous manquent ont été supprimées par madame de Simiane, parce qu’il y était trop question des affaires fort embarrassées de la maison de Grignan. On serait porté à s’en faire cette idée d’après quelques-unes de celles qui ont été retrouvées, et en général d’après toute la correspondance un peu antérieure. Il y avait longtemps que madame de Sévigné jetait le cri d’alarme et signalait l’inévitable naufrage dont le jeu et les dépenses sans mesure menaçaient la fortune de son gendre ; mais le mal s’aggravait chaque jour, et lui donnait la hardiesse de faire entendre des paroles de plus en plus sévères. Elle écrivait à madame de Grignan le 1er avril 1689 : « Il n’y a plus de bornes : deux dissipateurs ensemble, l’un voulant tout, l’autre approuvant tout : c’est pour abîmer le monde. Et n’étoit-ce pas le monde que la puissance et la grandeur de votre maison ?... Nous comptions l’autre jour vos revenus, ils sont grands ; il falloit vivre de la charge et laisser vos terres pour payer vos arrérages ; j’ai cru que cela étoit ainsi... Dieu sait comme vous ont abîmés les dépenses de Grignan et de ces compagnies sans compte et sans nombre, qui se faisoient un air d’y aller de toutes les provinces. » Avignon, qui aurait dû être un grand soulagement pendant le temps qu’on le conserva, fut lui-même une occasion de folles prodigalités. Deux grandes tables deux fois le jour et la bassette[1] emportaient sans doute une grande part des vingt mille livres qu’on en retirait. En vain M. et madame de Grignan, épuisés par les dépenses d’Avignon ou d’Aix, se tenaient-ils cachés tout l’hiver dans leur château. Leurs ruineuses habitudes les suivaient jusque dans cette retraite, qui les exposait cependant à la critique et les faisait accuser de se soustraire aux obligations de leur charge. Ils trouvaient moyen dans leur solitude d’être encore cent ou

  1. Lettres de madame de Sévigné à madame de Grignan, 26 juin et 24 juillet 1689.