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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


beaux traits ont été résumés avec une fidélité frappante, ce nous semble, par sa mère elle-même, c’est-à-dire par le peintre qui la connaissait le mieux : « Vous avez de la tête, du jugement, du discernement, de l’incertitude à force de lumières, de l’habileté, de l’insinuation, du dessein, quand vous voulez, de la prudence, de la conduite, de la fermeté, de la présence d’esprit, de l’éloquence, et le don de vous faire aimer, quand il vous plaît, et quelquefois plus, beaucoup plus que vous ne voudriez[1]. » Tout cela paraît absolument juste, quelle que fût la partialité de la mère qui l’a dit. Les plus grands admirateurs de madame de Grignan auraient-ils quelque chose à ajouter ? oui, peut-être. Ils ne voudraient pas que l’on oubliât la force d’esprit qu’elle portait dans l’étude des choses abstraites et son attachement fidèle à la philosophie de son père Descartes. Ce ne sont pas là des mérites que nous dédaignions. Si, d’ordinaire, l’on s’attend peu à les rencontrer chez une femme, la surprise ne doit pas empêcher de les apprécier. Mais si le goût passionné de madame de Grignan pour une belle et noble philosophie lui fait honneur, et prouve un esprit sérieux, nous n’avons aucun moyen de savoir exactement jusqu’où elle avait pu descendre dans ces profondeurs métaphysiques. On a d’elle un petit écrit sur les disputes de Fénelon et de Bossuet au sujet du pur amour. Nous n’oserions pas dire qu’elle y ait rendu la question beaucoup plus claire ; mais s’il y reste pour nous quelque obscurité, il faut nous en prendre sans doute à l’insuffisance de nos lumières. Quoi qu’il en soit, nous devons du moins reconnaître dans ce très-court morceau un esprit singulièrement familiarisé avec des méditations difficiles. Toutefois deux ou trois pages ne suffisent pas pour se faire une idée juste de la valeur des études philosophiques de madame de Grignan.

La récompense de l’attachement de madame de Grignan à la philosophie de Descartes a été la sympathie des métaphysiciens. Nous ne prétendons pas que, pour n’être pas entièrement désintéressé, leur suffrage soit sans valeur. En voici un, par exemple, qui doit toujours compter ; c’est celui d’un homme ; qui n’est pas seulement un philosophe, mais aussi un littérateur

  1. Lettre du 9 juin 1680.