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NOTICE BIOGRAPHIQUE


assurément l’idée d’une publicité plus grande était loin de son esprit ; et surtout comment aurait-elle pu croire que tant de confidences librement épanchées dans ses lettres à sa fille sur leurs petits démèlés et sur les affaires de la maison de Grignan seraient un jour dans les mains de tout le monde ? comment aurait-elle pu le vouloir ?

Quoique nous nous soyons interdit ici toute discussion littéraire, nous nous sommes laissé entraîner à défendre madame de Sévigné contre ceux qui méconnaissent la plus précieuse et la plus incontestable des qualités de son style, le naturel. C’est parce que cette qualité ne lui manqua jamais qu’elle pouvait, avec autorité, la recommander à madame de Grignan et lui faire délicatement sentir qu’elle était quelquefois près de s’en écarter. Si l’on fait attention à quelques autres de ses remarques sur les lettres de sa fille, on y verra bien marquées aussi les différences entre leur tour d’esprit et leur goût ; « Je ne barbouille que de misérables narrations, et vous achevez des raisonnements et des réflexions d’un pinceau que j’aime et que j’estime[1]. » Raisonner et disserter était évidemment le penchant de madame de Grignan. La grâce féminine lui manquait quelque peu. La nature et Descartes avaient fait d’elle un esprit viril. Quand elle avait bien raconté, sa mère lui donnait de grandes louanges ; il est aisé de voir que c’était surtout pour l’encourager ; car elle lui dit quelquefois « qu’elle lui a toujours vu de l’aversion pour les narrations[2], » et « qu’il faut se défaire de la haine qu’elle a pour les détails[3]. » Madame de Sévigné, au contraire, n’aimait rien tant que les détails et les narrations. Ainsi, à quelque point de vue que l’on compare la mère et la fille, il serait difficile d’imaginer deux natures plus opposées. Madame de Sévigné sentait bien ce contraste ; elle le faisait remarquer à madame de Grignan, mais elle ajoutait : « Nous n’en sommes pas moins bien ensemble ; au contraire, nous sommes une nouveauté l’une à l’autre[4]. »

Si l’on voulait faire de madame de Grignan un portrait qui fût vrai, il pourrait manquer de charme, mais non de distinction et de sévère noblesse. Voici quelques lignes où ses plus

  1. Lettre du 6 août 1680.
  2. Lettre du 27 mars 1671.
  3. Lettre du 28 juin 1671.
  4. Lettre du 9 juin 1680.