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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


gagé M. de Maistre à bien réfléchir sur son choix, d’autant plus que les lettres de madame de Grignan devaient être aussi très-agréables à recevoir.

Le comte de Grignan survécut plusieurs années à sa troisième femme. Il mourut dans la nuit du 30 au 31 décembre 1714. Il revenait de Lambesc, où il avait été ouvrir l’assemblée des communautés, et se rendait à Marseille, lorsque la mort le surprit dans une hôtellerie. Il était fort âgé ; il gouvernait la Provence depuis quarante-cinq ans. Ce gouvernement, exercé pendant tant d’années, avait été souvent une lourde charge pour lui et pour sa maison ; mais il y avait rendu de très-utiles services. Celui de tous qui a laissé le souvenir le plus glorieux pour lui, est l’affaire de Toulon en 1707. Cette ville était menacée par le duc de Savoie et par le prince Eugène, qui avaient fait une pointe en Provence. Le maréchal de Tessé, qui était trop éloigné pour secourir la ville à temps, ordonna au comte de Grignan de la couvrir. Celui-ci forma rapidement un camp. Il avait fondu toute sa vaisselle d’argent pour en faire de la monnaie obsidionale. Son activité sauva Toulon. « Le vieux Grignan, dit le duc de Savoie, nous a gagnés de vitesse. » Lorsque le maréchal de Tessé fut arrivé, il y eut un combat contre les impériaux, qui dura six heures, et pendant lequel, malgré son grand âge, Grignan, toujours à cheval, se battit comme un jeune officier.

Le nom de Grignan s’éteignait. Il n’était plus alors porté que par l’èvêque de Carcassonne, qui mourut en 1722. L’archevêque (autrefois coadjuteur) d’Arles était mort en 1697. Le fils du comte de Grignan n’avait pas laissé de postérité. Son père et sa mère, lorsqu’ils l’eurent perdu, tourmentèrent beaucoup le chevalier de Grignan pour qu’il se mariât. Cédant à leurs instances, il épousa mademoiselle d’Oraison[1]. Mais ce mariage ne réalisa pas les espérances de ceux qui l’avaient si vivement souhaité ; le chevalier mourut sans enfants en 1713. Cependant l’extinction de la maison, dit Saint-Simon, n’était pas à craindre, « tant il subsistait encore de branches de Castellane. » C’était la même maison sans doute, mais depuis 1722 il n’y eut plus de Grignan.

  1. Mémoires de Saint-Simon, tome IV, p. 424.