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Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/351

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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


ment, tant de savoir, tant de vertu, tant de politesse, et qui sait si bien le monde, qu’il n’est pas étrange qu’elle l’ait choisi dès le commencement de sa vie pour être le premier de ses amis[1].


Portrait de madame de Sévigné par madame de la Fayette[2].


Tous ceux qui se mêlent de peindre les belles, se tuënt de les embellir pour leur plaire, et n’oseroient leur dire un seul mot de leurs défauts. Pour moi, Madame, graces au privilège d’inconnu dont je jouis auprès de vous, je m’en vais vous peindre bien hardiment, et vous dire vos vérités tout à mon aise, sans crainte de m’attirer votre colère. Je suis au désespoir de n’en avoir que d’agréables à vous conter ; car ce me seroit un grand plaisir, si, après vous avoir reproché mille défauts, je me voyois cet hiver aussi bien reçû de vous, que mille gens qui n’ont fait toute leur vie que vous importuner de loüanges. Je ne veux point vous en accabler, ni m’amuser à vous dire que votre taille est admirable, que votre teint a une beauté et une fleur qui assure que vous n’avez que vingt ans ; que votre bouche, vos dents et vos cheveux sont incomparables ; je ne veux point vous dire toutes ces choses, votre miroir vous le dit assez : mais, comme vous ne vous amusez pas à lui parler, il ne peut vous dire combien vous êtes aimable quand vous parlez, et c’est ce que je veux vous apprendre. Sçachez donc, Madame, si par hazard vous ne le sçavez pas, que votre esprit pare et embellit si

  1. Il ne nous semble pas aisé de reconnaître l’ami dont parle ici mademoiselle de Scudéry. Si c’est Bussy, le portrait est bien flatté. L’abbé de Coulanges n’avait pas des agréments si mondains, et c’était un ami dont on ne pouvait pas dire que madame de Sévigné l’eût choisi.
  2. Le chevalier de Perrin le cite dans la préface de l’édition des Lettres de 1734. « Madame de la Fayette, dit-il, une des meilleures amies de madame de Sévigné et un des plus beaux esprits du siècle passé, le fit sous le nom d’un inconnu. » Il est probable qu’il fut imprimé pour la première fois dans cette préface.

    Madame de Sévigné, dans une lettre du ie décembre 1675 à madame de Grignan, dit au sujet de ce portrait : « Nous trouvâmes (madame la princesse de Tarente et moi) une infinité de portraits, entre autres celui que madame de la Fayette fit de moi sous le nom d’un inconnu. Il vaut mieux que moi : mais ceux qui m’eussent aimée, il y a seize ans, l’auroient pu trouver ressemblant. » Cela fait remonter la composition de ce portrait à l’année 1659 : ce qui s’accorde avec la mention qu’en fait Costar dans une lettre à madame de Sévigné imprimée en 1659.