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NOTES DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE


fort votre personne, qu’il n’y en a point sur la terre de si charmante, lorsque vous êtes animée dans une conversation dont la contrainte est bannie. Tout ce que vous dites a un tel charme, et vous sied si bien, que vos paroles attirent les ris et les graces autour de vous ; et le brillant de votre esprit donne un si grand éclat à votre teint et à vos yeux, que, quoiqu’il semble que l’esprit ne dût toucher que les oreilles, il est pourtant certain que le vôtre ébloüit les yeux, et que, quand on vous écoute, on ne voit plus qu’il manque quelque chose à la régularité de vos traits, et l’on vous cède la beauté du monde la plus achevée. Vous pouvez juger que si je vous suis inconnu, vous ne m’êtes pas inconnuë, et qu’il faut que j’aie eu plus d’une fois l’honneur de vous voir et de vous entendre, pour avoir démêlé ce qui fait en vous cet agrément, dont tout le monde est surpris. Mais je veux encore vous faire voir, Madame, que je ne connois pas moins les qualitez solides qui sont en vous, que je fais les agréables, dont on est touché. Votre ame est grande, noble, propre à dispenser des trésors, et incapable de s’abaisser aux soins d’en amasser. Vous êtes sensible à la gloire et à l’ambition, et vous ne l’êtes pas moins aux plaisirs : vous paroissez née pour eux, et il semble qu’ils soient faits pour vous ; votre présence augmente les divertissemens, et les divertissemens augmentent votre beauté, lorsqu’ils vous environnent. Enfin, la joye est l’état véritable de votre ame, et le chagrin vous est plus contraire qu’à qui que ce soit. Vous êtes naturellement tendre et passionnée ; mais, à la honte de notre sexe, cette tendresse vous a été inutile, et vous l’avez renfermée dans le vôtre, en la donnant à madame de la Fayette. Ha ! Madame, s’il y avoit quelqu’un au monde assez heureux pour que vous ne l’eussiez pas trouvé indigne du trésor dont elle joüit, et qu’il n’eût pas tout mis en usage pour le posséder, il mériteroit de souffrir seul toutes les disgraces à quoi l’amour peut soumettre tous ceux qui vivent sous son empire. Quel bonheur d’être le maître d’un cœur comme le vôtre, dont les sentimens fussent expliqués par cet esprit galant que les Dieux vous ont donné ! Votre cœur, Madame, est sans doute un bien qui ne se peut mériter ; jamais il n’y en eut un si généreux, si bien fait et si fidèle. Il y a des gens qui vous soupçonnent de ne le montrer pas toujours tel qu’il est ; mais, au contraire, vous êtes si accoutumée à n’y rien sentir qui ne vous soit honorable, que même vous y laissez voir quelquefois, ce que la prudence vous obligeroit de cacher. Vous êtes la plus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais été ; et par un air libre et doux, qui est dans toutes vos actions, les plus simples complimens de bienséance paroissent en votre bouche des protestations d’amitié ; et tous les gens qui sortent d’auprès de vous s’en vont