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NOTES DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE


Portrait de madame de Sévigné par le comte de Bussy [1].

Marie de Rabutin, fille de Celse Bénigne de Rabutin, baron de Chantal, et de Marie de Colanges, naquit toute pleine de graces ; ce fut un grand parti pour le bien, mais pour le mérite, elle ne se pouvoit dignement assortir. Elle épousa Henri de Sévigné, d’une bonne et ancienne maison de Bretagne, et quoiqu’il eût de l’esprit, tous les agréments de Marie ne le purent retenir ; il aima partout, et n’aima jamais rien de si aimable que sa femme. Cependant elle n’aima que lui, bien que mille honnêtes gens eussent fait des tentatives auprès d’elle. Sévigné fut tué en duel, elle étoit encore fort jeune. Cette perte la toucha vivement ; ce ne fut pourtant pas, à mon avis, ce qui l'empêcha de se remarier, mais seulement sa tendresse pour un fils et une fille que son mari lui avoit laissés, et quelque légère appréhension de trouver encore un ingrat. Par sa bonne conduite (je n’entends pas parler ici de ses mœurs, je veux dire par sa bonne administration), elle augmenta son bien, ne laissant pas de faire la dépense d’une personne de sa qualité ; de sorte qu’elle donna un grand mariage à sa fille, et lui fît épouser François Adhémar de Monteil, comte de Grignan, lieutenant pour le roi en Languedoc, et puis après en Provence. Ce ne fut pas le plus grand bien qu’elle fit à Françoise de Sévigné ; la bonne nourriture qu’elle lui donna et son exemple sont des trésors que les rois mêmes ne peuvent pas toujours donner à leurs enfants ; elle en avoit fait aussi quelque chose de si extraordinaire, que moi, qui ne suis pas du tout flatteur, je ne me pouvois lasser de l’admirer, et que je ne la nommois plus, quand j’en parlois, que la plus jolie fille de France, croyant qu’à cela tout le monde la devoit connoître.

Marie de Rabutin acheta encore à son fils la charge de guidon des gendarmes de M. le Dauphin, ce qu’elle fit habilement, n’y ayant rien de mieux pensé que d’attacher de bonne heure ses enfants

  1. Tiré de l’Histoire généalogique de la maison de Rabutin, manuscrit autographe de la Bibliothèque de l’Arsenal, p. 115-118. Ce portrait, qu’il faudrait plutôt appeler une notice historique, et qui est comme une amende honorable du portrait satirique de l’Histoire amoureuse, vient, par la date, bien après les précédents. L’Histoire généalogique fut adressée par Bussy, en 1685, à madame de Sévigné. Ce fut le 18 juillet de cette année qu’elle la reçut (voir sa lettre du 22 juillet 1685).