Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
323
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


persuadés de votre estime et de votre bienveillance, sans qu’ils se puissent dire à eux-mêmes quelle marque vous leur avez donnée de l’un et de l’autre. Enfin, vous avez reçû des graces du Ciel qui n’ont jamais été données qu’à vous, et le monde vous est obligé de lui être venu montrer mille agréables qualitez, qui jusqu’ici lui avoient été inconnues. Je ne veux point m’embarquer à vous les dépeindre toutes, car je romprois le dessein que j’ai fait de ne vous accabler pas de loüanges ; et de plus, Madame, pour vous en donner qui fussent dignes de vous, et dignes de paroître, il faudrait être votre amant, et je n’ai pas l’honneur de l’être[1].

Portrait de madame de Sévigné, sous le nom de Sophronie,
par Somaize[2].

Sophronie est une jeune veufve de qualité. Le merite de cette pretieuse est egal a sa grande naissance. Son esprit est vif et enjoué, et elle est plus propre a la joye qu’au chagrin ; cependant il est aisé de juger par sa conduite que la joye, chez elle, ne produit pas l’amour : car elle n’en a que pour celles de son sexe, et se contente de donner son estime aux hommes, encore ne la donne-t-elle pas aisement. Elle a une promptitude d’esprit la plus grande du monde a connoistre les choses et a en juger. Elle est blonde, et a une blancheur qui repond admirablement a la beauté de ses cheveux. Les traits de son visage sont deliez, son teint est uny, et tout cela ensemble compose une des plus agreables femmes d’Athenes (Paris) ; mais si son visage attire les regards, son esprit charme les oreilles, et engage tous ceux qui l’entendent ou qui lisent ce qu’elle ecrit. Les plus habiles font vanité d’avoir son approbation. Menandre (Ménage) a chanté dans ses vers les louanges de cette illustre personne ; Crisante (Chapelain) est aussi un de ceux qui la visitent souvent. Elle aime la musique et hait mortellement la satyre ; elle loge au quartier de l’Éolie (le marais du Temple).

  1. 1. Allusion aux derniers vers de la Pompe funèbre de Voiture, par Sarrazin.
  2. 2. Il est presque du même temps que les deux précédents. Il fut imprimé pour la première fois en 1661, dans le Grand dictionnaire historique des Pretieuses. Voir l’édition que M. Livet a donnée de ce Dictionnaire dans la Bibliothèque elzévirienne, t. I, p. 221.