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puisque vous avez hâté ma mort, et qu’il y a grande apparence que pour vous plaire j’aurois de bon cœur vécu cent ans aussi bien qu’un autre. Mais ne pourriez-vous pas changer le genre de mort ? Je ne vous en serois pas peu obligé. Toutes ces morts d’impatience et d’amour ne sont plus à mon usage, encore moins à mon gré ; et si j’ai pleuré cent fois pour des personnes qui en sont mortes, encore que je ne les connusse point, songez à ce que je ferai pour moi-même, qui faisois état de mourir de ma belle mort ! Mais on ne peut éviter sa destinée, et de près et de loin vous m’auriez toujours fait mourir : ce qui me console, c’est que si je vous avois vue, j’en serois mort bien plus cruellement. On dit que vous êtes une dangereuse dame, et que ceux qui ne vous regardent pas assez sobrement en sont bien malades, et ne la font guère longue. Je me tiens donc à la mort qu’il vous a plu me donner, et je vous la pardonne de bon cœur. Adieu, Madame ; je meurs votre très-humble serviteur, et je prie Dieu que les divertissements que vous aurez en Bretagne ne soient point troublés par le remords d’avoir fait mourir un homme qui ne vous avoit jamais rien fait ;

Et du moins souviens-toi, cruelle,
Si je meurs sans te voir,
Que ce n’est pas ma faute.

La rime n’est pas trop bonne ; mais à l’heure de la mort on songe à bien mourir plutôt qu’à bien rimer.



    retour. Ce serait en réponse à cette plaisanterie que Scarron lui aurait adressé cette lettre en Bretagne. Elle a été publiée, sans date, dans les Dernières Œuvres de Scarron (1663), où elle a pour titre : À Madame de Sévigny la veuve. Une autre lettre du même recueil, intitulée à tort : À Madame de Sévigny la marquise, est adressée à Mme Renaud de Sévigné, mère de Mlle de la Vergne. Voyez à ce sujet Walckenaer, tome I, p. 226 et suivantes.