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1654

26. — DU COMTE DE BUSSY RABUTIN
À MADAME DE SÉVIGNÉ.

Au camp de Vergès[1], le 17e août 1654.

Vous me mandez si souvent que vous me regretteriez beaucoup si j’étois mort, et je trouve si beau d’être fort regretté de vous, que cela me feroit souhaiter d’être en cet état, sans quelques petites raisons qui m’en empêchent, outre que ne vous ayant jamais surprise en mensonge, j’aime autant vous croire en cette rencontre que d’y aller voir ; et puis il y a grande apparence qu’une personne qui a la larme à l’œil en parlant seulement de la perte d’un de ses bons amis, le pleureroit fort si elle l’avoit effectivement perdu. Je crois donc, ma belle cousine, que vous m’aimez, et je vous assure que je suis pour vous comme vous êtes pour moi, c’est-à-dire content au dernier point de vous et de votre amitié. Ce n’est pas que je demeure d’accord avec vous que votre lettre, toute franche et toute signée, comme vous dites, fasse honte à tous les poulets : ces deux choses n’ont rien de commun entre elles. Il vous doit suffire que l’on approuve votre manière d’écrire à vos bons amis, sans vouloir médire des poulets, qui ne vous ont jamais rien dit. Vous êtes une ingrate, Madame, de les traiter mal, après qu’ils ont eu tant de respect pour vous. Pour moi, je vous l’avoue, je suis dans l’intérêt des poulets, non pas contre vos lettres ; mais je ne vois pas qu’il faille prendre parti entre eux : ce sont deux beautés différentes. Vos lettres ont leurs grâces, et les poulets les leurs ; mais, pour vous parler franchement, si l’on pouvoit avoir de vos poulets, on ne feroit pas tant de cas de vos lettres.

  1. Lettre 26. — i. En Catalogne, sur la rivière de la Ter.