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Il est vrai que vous êtes étrangement révoltée contre les coquettes. Je ne sais pas si cela vous durera jusques à cinquante ans. À tout hasard, je me tiendrai en haleine de beaux sentiments, pour les pousser avec vous, si entre ci et ce temps-là vous veniez à vous humaniser ; et en attendant je n’aurai pour vous que la plus belle amitié du monde, puisque vous ne voulez autre chose.

Je suis bien aise que vous soyez satisfaite du surintendant[1], c’est une marque qu’il se met à la raison, et qu’il ne prend plus tant les choses à cœur qu’il faisoit. Quand vous ne voulez pas ce qu’on veut, Madame, il faut bien vouloir ce que vous voulez ; on est encore trop heureux de demeurer de vos amis. Il n’y a guère que vous dans le royaume qui puisse réduire ses amants à se contenter de l’amitié ; nous n’en voyons point qui d’amant éconduit ne devienne ennemi ; et je suis persuadé qu’il faut qu’une femme ait un mérite extraordinaire, pour faire en sorte que le dépit d’un amant maltraité ne le porte pas à rompre avec éclat.

J’admire la constance de M. d’Elbeuf[2] pour Mme de Nesle[3]. Ne voit-il pas ses dents, et, qui pis est, ne les

  1. Au lieu du mot surintendant, il y a des points dans le manuscrit de Bussy. On a écrit au-dessus, d’une autre main et d’une autre encre, surintendant Foucquet.
  2. Charles de Lorraine, troisième du nom, prince d’Harcourt en ce temps-là, et plus tard duc d’Elbeuf. Il peut paraître singulier, dit M. Paulin Paris, dans son savant commentaire sur Tallemant (tome IV. p. 311) « de voir Bussy donner au prince et à la princesse d’Harcourt les noms de M. et Mme d’Elbeuf. Celle-ci ne le porta jamais le duc d’Elbeuf son beau-père, lui ayant survécu de trois ans. »
  3. Tallemant (tome VI, p. 449) parle d’un marquis de Rouillac amoureux à soixante-douze ans (vers 1656) d’une « Mme de Nesle, dont on a fort médit avec M. d’Elbeuf, ci-devant le prince d’Harcourt. » Il ajoute que Mme de Nesle mourut quelque temps après. Cette dame de Nesle ne pouvait donc pas être, comme on l’a sup-