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j’étois à tous moments sur le point de me défaire de ma charge. La seule raison qui m’en empêchoit, c’étoit la crainte des reproches qu’on m’auroit pu faire de m’être dégradé moi-même ; mais lorsque j’eus ordre de me démettre, j’en fus ravi, croyant qu’on ne s’en pourroit pas prendre à moi, et qu’on m’en pourroit accuser que la fortune. Si d’un état agréable j’étois passé tout d’un coup à un état malheureux, je sentirois tout ce que vous sentez ; mais on m’a fait avaler huit ans durant tant de couleuvres, dont je ne me vantois pas, que je regardois la fin de ces misères, de quelque façon qu’elle pût arriver, comme je regardois avant cela d’être maréchal de France ; de sorte que j’entends parler aujourd’hui du voyage de Flandre avec la même tranquillité dont j’entendois ces jours passés parler des revues de la plaine d’Ouilles[1]. Ce n’est pas que je n’aie écrit au Roi ; mais j’ai donné cela à M. de Noailles[2], qui m’y avoit engagé, comme vous verrez par la copie de sa lettre que je vous envoie, et non pas à l’envie que j’ai eue de refaire un métier où j’ai reçu tant de dégoûts. Je vous envoie aussi la copie de ma lettre au Roi[3]. Si l’on me donnoit un grand emploi et de quoi le soutenir, je serois ravi de recommencer ; à moins que cela, je serois fort embarrassé si le Roi recevoit mes offres. Ainsi, Madame, cessez de me plaindre sur les chagrins que vous croyez que j’ai. Il y a bien des gens en France qui ont de plus grands

  1. Le village d’Ouilles, ou plutôt d’Houilles, est situé à une lieue et demie de Saint-Germain en Laye et à près de trois lieues de Paris et de Versailles, dans une grande plaine où le Roi faisait quelquefois la revue des troupes de sa maison. Voyez la lettre du 26 juillet 1679.
  2. Anne, d’abord comte, et en 1663 premier duc de Noailles, capitaine de la première compagnie des gardes du corps, père du maréchal et du cardinal. Il mourut en 1678.
  3. Cette lettre au Roi se trouve à la suite de celle-ci dans la première édition des Lettres de Bussy Rabutin, tome I, p. 7-9.