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1668 préférence de mes rivaux ; mais quand je verrai faire trois maréchaux de France à la fois, qui n’ont jamais fait une action d’éclat à la guerre, à deux desquels il est arrivé des malheurs sur la réputation[1], et tous trop jeunes pour une dignité comme celle-là (à moins que d’avoir fait des actions extraordinaires) ; quand je verrai, dis-je, des caprices de la fortune aussi ridicules que celui-là, bien loin de m’affliger, je me réjouirai de ce qu’une pareille promotion honore ma disgrâce ; et voilà les sentiments que doivent avoir mes amis en de pareilles rencontres.

Voulez-vous savoir, ma belle cousine, la raison qui a fait ces messieurs-là maréchaux de France ? Elle est assez plaisante.

D’ordinaire les gens qui sont en passe de s’élever à de grandes dignités sont tellement tourmentés et traversés par les envieux, que souvent on les fait échouer. Pour ceux-ci, ils étoient si peu en passe d’être maréchaux, que l’envie ne daignoit songer à eux ; et ainsi le Roi prenant tout d’un coup cette pensée en leur faveur, personne n’a eu le loisir de traverser leur élévation, et de faire connoître à Sa Majesté leur peu de mérite.

Vous me mandez que si j’avois voulu, on vous auroit fait les mêmes honneurs qu’à Mme de Villars. Vous croyez donc, Madame, que sans ma disgrâce, c’est-à-dire si je n’avois été arrêté, j’aurois été maréchal de France ? Je crois que non, moi. J’étois il y a longtemps dans une dis-

  1. Ceci s’applique, dans la pensée de Bussy, comme on le voit par divers endroits de ses Mémoires, à Bellefonds et à Créquy. Voyez, pour le premier, tome II, p. 13 ; pour le second, surtout tome II, p. 79. Ces deux passages auxquels je renvoie ne se trouvent pas dans les anciennes éditions des Mémoires de Bussy ; M. Lalanne les a rétablis dans la sienne d’après le manuscrit. — Il y a dans la Correspondance de Bussy plusieurs lettres relatives à la nomination d’Humières, son cousin, une entre autres que Bussy lui écrit à lui-même, pour le féliciter. Voyez la note 7 de la lettre 34.