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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


Ménage. Le sel en est un peu trop fort, et nous ne prenons plus toutes les libertés du dix-septième siècle. Ce mot d’ailleurs n’apprendrait rien de nouveau : nous savons que Ménage eut, malgré lui, les honneurs du martyre ; et nous ne doutons pas qu’en cette occasion madame de Sévigné n’ait de son côté mérité une autre palme.

On voudrait croire, pour l’honneur de Ménage, qu’il ne fut qu’un peu ridicule dans cette belle passion, et que jamais, dans son excessif amour-propre de pédant à bonnes fortunes, il ne se vanta, comme l’en accuse Tallemant, « d’être admirablement bien avec madame de Sévigné et mademoiselle de la Vergne[1]. >> Comme d’ailleurs madame de Sévigné paraît n’avoir rien su de cette vanterie, puisqu’elle ne cessa de lui écrire les lettres les plus aimables, des lettres qu’il disait être de dix mille écus, avouons qu’elle eût mieux fait de ne pas démentir tant de protestations d’amitié par ce sarcasme acéré qu’on trouve dans une de ses lettres : « Ménage et le P. Bouhours se disent leurs vérités, et souvent ce sont des injures[2]. » Voilà ce que Ménage gagnait à lui avoir appris à lire Tacite : Flagitia invicem objectavere : neuter falso[3]. Madame de Sévigné quelquefois ne résistait pas assez à l’entraînement d’une saillie.

Parmi ceux qu’elle charma dans sa première jeunesse on trouve aussi le spirituel petit bossu Saint-Pavin. Il commença dès lors à la célébrer dans des badinages poétiques, qu’il continua depuis. Sans être d’une race ancienne, Denis Sanguin de Saint-Pavin n’était cependant pas, comme Ménage, d’une condition qui mît trop de distance entre lui et Marie de Chantal. Son père était seigneur de Livry. L’abbaye, après la mort du bien bon Coulanges, passa dans leur famille. Dès les premiers temps du séjour de mademoiselle de Chantal à Livry, les Sanguin étaient ses voisins[4]. Saint-Pavin profita du voisinage. Il était libertin dans le sens qu’avait alors ce mot, comme dans celui qu’on lui donne aujourd’hui. Mais sa difformité défendait mieux contre lui que n’eût pu faire sa sagesse. Les galanteries

  1. Historiette de Ménage.
  2. Lettre à madame de Grignan, du 16 septembre 1676.
  3. Histoires, liv. I, 74.
  4. Lettre à madame de Grignan, du 20 novembre 1689.