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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


observateur de son vœu de chasteté, et poli comme une espèce de corsaire.

Sévigné avait sans cesse à Paris quelques galanteries nouvelles. « Il aima partout, dit Bussy dans son Histoire généalogique, et n’aima jamais rien de si aimable que sa femme. » Madame de Sévigné a peut-être été indulgente pour lui, lorsqu’elle a dit que « Ninon l’avait gâté[1]. » Le mal sans doute était déjà fait. Mais ce dut être pour elle le comble de la douleur de se voir trahie pour une femme qui étalait avec tant d’impudence le scandale de ses déréglements. Sévigné était parvenu à supplanter dans les bonnes grâces très inconstantes de Ninon, son parent Vassé, autre débauché, qui, de son côté, avait fait de son mieux pour le supplanter lui-même dans le cœur de sa femme. Il aurait dû s’efforcer du moins de cacher un tel désordre ; au contraire, il en faisait volontiers parade. Mais il s’adressa mal pour raconter les agréables nuits dont il était redevable à Ninon. Il choisit Bussy pour confident ; celui-ci l’était un peu aussi de madame de Sévigné. Elle l’entretenait quelquefois de son chagrin et des mille trahisons de son mari. Bussy, voyant de quel côté il y avait le plus à gagner, aima mieux tromper la confiance du mari que celle de la femme. Il alla en toute hâte avertir sa cousine du nouvel et indigne attachement du marquis, et, pour conclusion de sa révélation, prit soin de s’offrir comme vengeur : « car enfin, lui dit-il, vos intérêts me sont aussi chers que les miens propres. — Tout beau, monsieur le comte, répondit madame de Sévigné, je ne suis pas si fâchée que vous le pensez[2]. » Bussy, conteur agréable, pourrait sans doute avoir imaginé ce dialogue. Si les graves historiens font souvent les mots des héros, à plus forte raison les chroniqueurs des choses galantes prennent-ils de semblables licences. Ne croit-on pas cependant entendre madame de Sévigné elle-même ? Certainement c’est avec de telles armes, les armes d’une honnête et douce Elmire, qu’elle se défendait. La vertu s’en sert mieux souvent, qu’elle n’eût pu faire de la colère et de l’indignation hérissée.

Admirable justice de la destinée ! si Bussy, dans une pensée

  1. Lettre à madame de Grignan, du 13 mars 1671.
  2. Histoire amoureuse, tome II des Mémoires, p. 429, 430.