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NOTICE BIOGRAPHIQUE


de retour à la cour, ayant quitté son gouvernement de Nivernais ; et lorsqu’il apprit, quatre jours après, que Condé venait d’être arrêté avec le prince de Conti et le duc de Longueville, se sentant un zèle très froid pour un prince qui lui avait témoigné si peu d’amitié, il laissa les autres officiers se retirer à Stenay et à Bellegarde, et, pour lui, demeura à Paris, où il s’amusait et où il songeait à un mariage avec Louise de Rouville, cousine de Marguerite de Lorraine, duchesse d’Orléans. Il l’épousa en effet au mois de mai. Il y aurait là, s’il s’agissait d’un autre que Bussy, une difficulté chronologique. Car c’est presque au lendemain de ce mariage qu’il faut placer ses honnêtes tentatives pour consoler sa cousine et faire tourner à son propre avantage les chagrins qu’elle devait ressentir des infidélités de son mari.

Les contemporains qui ont parlé du marquis de Sévigné ne l’ont pas fait dans des termes très flatteurs. « Ce Sévigné, dit Tallemant, n’était pas un honnête homme ; il ruinait sa femme, qui est une des plus agréables et des plus honnêtes femmes de Paris[1]. » Suivant Conrart, dans ses Mémoires, il y avait cette différence entre son mari et elle, « qu’il l’estimait et ne l’aimait point, au lieu qu’elle l’aimait et ne l’estimait point. » Il ajoute que, ne l’estimant pas, « elle avait cela de commun avec la plupart des honnêtes gens. » Sévigné ne se donnait pas la peine de cacher à sa femme son indifférence. Il lui disait quelquefois qu’il croyait qu’elle eût été très agréable pour un autre, mais que pour lui elle ne lui pouvait plaire[2]. Pour tenir un pareil langage a une si aimable femme, qui l’aimait tendrement, il fallait certes qu’à la légèreté de son caractère et de ses mœurs il joignit assez de brutalité. C’est surtout ce que, dans la langue du temps, on voulait dire, en lui refusant la qualité d’honnête homme. Madame de Sévigné dit quelque part que son mari s’était avisé de trouver dans le grand prieur de Malte, Hugues de Rabutin, sa bête de ressemblance, et qu’il avait assez raison[3]. Or nous savons par Bussy ce qu’était ce vieil oncle le Pirate, sujet à beaucoup de fragilités, très peu scrupuleux

  1. Historiette de Sévigny et de sa femme.
  2. Mémoires de Conrart, p. 188.
  3. Lettre à Ménage, du 1er octobre 1654.