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NOTICE BIOGRAPHIQUE


pour dire des merveilles du grand maître (du Lude était alors grand maître de l’artillerie) ; je ne le nie pas absolument. Vous m’en voulez sur ce sujet : le monde est bien injuste[1]. » Elle pensait assurément à du Lude, lorsqu’à propos des broderies dont la princesse de Tarente ornait ses majuscules, elle disait : « Nous aurions bien des affaires, ma fille, si nous nous mettions à faire des lacs d’amour à tous nos D et à tous nos L[2]. » Mais le plus joli passage des lettres et le plus décisif est celui où madame de Sévigné raconte à sa fille la maladie du grand maître, et comment elle l’avait été voir, avec madame de Coulanges, dans un moment où sa vie paraissait en danger : « Nos inquiétudes pour son mal ont été selon nos dates, moi beaucoup, madame de Coulanges un peu plus, et d’autres mille fois davantage... Nous y avons été trois fois ; je ne veux pas vous cacher deux visites ; il suffit que j’aie perdu la mémoire entière du passé[3]. » Triste puissance du temps ! Lorsque mourut cet homme qui avait plus que tout autre touché le cœur de madame de Sévigné, elle lui fit cette courte oraison funèbre : « J’ai trouvé, en arrivant, la place du grand maître de l’artillerie vide par la mort du duc du Lude. Cela doit toujours effrayer les contemporains[4]. » Il est vrai qu’elle écrivait à Bussy, avec qui son esprit avait toujours été plus à l’aise que son cœur, et qui n’eût pas été le confident bien choisi d’un trop tendre souvenir.

Nous avons dit que, dans les premiers temps du retour de madame de Sévigné à Paris, Bussy avait été forcé par ses devoirs militaires de laisser le champ libre aux autres adorateurs de sa cousine. Il eut plus de loisir pendant l’année 1653, qu’il passa presque tout entière au Temple, chez son oncle le grand prieur, jusqu’au moment où il lui fallut partir pour l’armée que commandait Turenne. Il dut croire l’occasion plus favorable

  1. Lettre à madame de Grignan, du 29 juillet 1676.
  2. Lettre du 17 juillet 1780. — L serait pour madame de Sévigné, D pour madame de Grignan. Nous ignorons quel sentiment de la belle Provençale se cache sous cette initiale ; mais nous ne pensons pas qu’en faveur de M. de Grignan on puisse conjecturer qu’il s’agit de Descartes.
  3. Lettre du 1er mars 1680.
  4. Lettre à Bussy, du 5 octobre 1685.