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NOTICE BIOGRAPHIQUE


aise que vous soyez satisfaite du surintendant ; c’est une marque qu’il se met à la raison[1] ; » et il admirait cet art avec lequel elle éconduisait les amants et les forçait à devenir des amis.

Mais il n’en avait pas fini avec ses questions ; et l’année suivante, sa curiosité sur les progrès du surintendant s’était réveillée. « Mandez-moi , je vous prie, disait-il encore, des nouvelles de l’amour du surintendant[2]. » Pour mériter cette confidence, il la payait d’avance par une confession très-complète de ses aventures avec sa Chimène ( madame de Montglas). « Quoiqu’il n’y ait rien de plus galant, lui répondit-elle, que ce que vous me dites sur toute cette affaire, je ne me sens point tentée de vous faire une pareille confidence sur ce qui se passe entre le surintendant et moi ; et je serois au désespoir de pouvoir vous mander quelque chose d’approchant. J’ai toujours avec lui les mêmes précautions et les mêmes craintes ; de sorte que cela retarde notablement les progrès qu’il voudroit faire. Je crois qu’il se lassera enfin de vouloir recommencer toujours la même chose. » Et, avec une charmante malice, qui montrait bien qu’elle n’était pas dupe du charitable souci de son médisant cousin, elle ajoutait : « Usez aussi bien de mon secret que j’userai du vôtre ; vous avez autant d’intérêt que moi de le cacher. »

Parmi les prudentes précautions dont madame de Sévigné parle dans cette lettre, il en est une qu’elle n’oublia pas, et qui était bien essentielle avec un surintendant : ce fut, comme elle-même plus tard s’en rendit témoignage, « de n’avoir jamais voulu rien chercher ni trouver dans sa bourse. »

Fouquet, ainsi tenu à distance, fut longtemps sans doute à se résigner. Mais il fallut bien finir par admirer et par respecter, autant qu’il l’aimait, une femme si différente de celles qui formaient sa nombreuse cour. « Il changea, dit Bussy[3], son amour en estime pour une vertu qui lui avoit été jusque-là inconnue. » S’il fut contraint de laisser échapper une maîtresse, il trouva et conserva une amie, qui venait souvent embellir de ses grâces et de son esprit les fêtes somptueuses et les brillantes réunions de Vaux, devenu le palais des arts et des lettres. Ce

  1. Lettre du 17 août 1654.
  2. Lettre du 3 juillet 1655.
  3. Mémoires, tome II, p. 50.