Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 10.djvu/21

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1687 d’essuyer tout le feu, qui fut fort vif d’abord, de porter des fascines au petit pas, car c’est le bel air ; mais quelles fascines ! toutes d’orangers, mon cousin, de lauriers-roses, de grenadiers ! ils ne craignoient que d’être trop parfumés. Jamais il ne s’est vu un si beau pays ni si délicieux ; vous en comprenez les délices par ceux de votre Italie. Voilà ce que Monsieur de Savoie a pris plaisir de perdre et de ruiner : dirons-nous que c’est un habile politique ? Nous attendons ce petit colonel, qui vient se préparer pour aller en Piémont ; car cette expédition de Nice n’est que peloter en attendant partie ; il ne sera plus ici quand vous y passerez ; mais savez-vous qui vous y trouverez ? Mon fils, qui vient passer l’été avec nous, et qui vient au-devant de son gouverneur sur les pas de sa mère.

À propos de mère et de fils, savez-vous, mon cher cousin, que je suis depuis dix ou douze jours dans une tristesse dont vous seul êtes capable de me tirer, pendant que je vous écris ? C’est de la maladie extrême de Mme  de Lavardin[1] la douairière, mon intime et mon ancienne amie ; cette femme d’un si bon et si solide esprit, cette illustre veuve qui nous avoit toutes rassemblées sous son aile, cette personne d’un si grand mérite est tombée tout d’un coup dans une espèce d’apoplexie ; elle est assoupie, elle est paralytique, elle a une grosse fièvre ; quand on la réveille, elle parle de bon sens, mais elle retombe ; enfin, mon enfant, je ne pouvois faire dans l’amitié une plus grande perte ; je la sens très-vivement ; Mme  la duchesse de Chaulnes m’en apprend des nouvelles, et en est très-affligée ; Mme  de la Fayette encore plus ; enfin c’est un mérite reconnu, où

  1. Elle ne revint de cette maladie que pour tomber en enfance. Elle mourut trois ans après : voyez la lettre à Mme  de Guitaut du 25 avril 1694.