Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 10.djvu/243

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1695 cela à notre duchesse de Chaulnes, qui nous croit dans des prairies, avec des parasols, nous promenant à l’ombre des orangers. Vous avez très-bien imaginé toutes les magnificences champêtres de notre noce ; tout le monde a pris sa part des louanges que vous donnez ; mais nous ne savons ce que vous voulez dire d’une première nuit de noce. Hélas ! que vous êtes grossier ! j’ai été charmée de l’air et de la modestie de cette soirée ; je l’ai mandé à Mme  de Coulanges : on mène la mariée dans son appartement, on porte sa toilette, son linge, ses cornettes ; elle se dècoiffe, on la déshabille, elle se met au lit ; nous ne savons qui va ni qui vient dans cette chambre ; chacun va se coucher ; on se lève le lendemain, on ne va point chez les mariés ; ils se lèvent de leur côté ; ils s’habillent ; on ne leur fait point de sottes questions : « Êtes-vous mon gendre ? êtes-vous ma belle—fille ? » ils sont ce qu’ils sont ; on ne propose aucune sorte de déjeuner ; chacun fait et mange ce qu’il veut ; tout est dans le silence et dans la modestie ; il n’y a point de mauvaise contenance, point d’embarras, point de méchantes plaisanteries ; et voilà ce que je n’avois jamais vu, et ce que je trouve la plus honnête et la plus jolie chose du monde. Le froid me glace et me fait tomber la plume des mains. Où êtes-vous ? à Saint-Martin, à Meudon, à Bâville ? Quel est le bienheureux endroit qui possède l’aimable et jeune Coulanges ? Je viens de dire pis que pendre de l’avarice à Mme  de Coulanges : les richesses que laisse Mme  de Meckelbourg me donnent une joie extrême de penser que je mourrai sans aucun argent comptant, mais aussi sans dettes ; c’est tout ce que je demande à Dieu, et c’est assez pour une chrétienne.