SUR LE SYSTÈME DU PUR AMOUR. ag3-
Grand embarras sur l’amour de nous-mêmes et l’intérêt propre, si
ce terme est pris pour l’avantagesurnature^quinous revient de l’es-
pérance. En ôtant l’intérêt propre, on retranche une vertu théolo-
gale; ce qui est hérétique.
Si l’intérêt propre veut dire un amour naturel et délibéré, il sera
vrai qu’il sera motif et principe des actes surnaturels, et un moyen
de se détacher de la créature et de s’attacher au créateur, ce qui est
un vrai pélagianisme. Selon Monsieur de Meaux% il n’y a point
d’objet plus réel, plus solide, plus palpable à l’esprit, que l’Être par-
fait, seul existant par lui seul, auteur de toute substance 3, de tout
mouvement, immense, éternel. Il n’y a point de connoissanceplus
évidente et plus certaine que celle de nos propres sentiments; ils sont
vrais, incontestables. Rien ne peut nous faire révoquer en doute [ce]
que nous sentons si c’est l’amour,nous savons que notre volonté nous
porte vers son objet, nous unit à lui, nous fait regarder comme ne
faisant qu’un tout avec lui, dont nous ne sommes qu’un atome. Si
ces deux propositions sont vraies, il n’y a point de dispute moins
subtile que celle de Monsieur de Cambrai et de Monsieur de Meaux.
J’appelle subtil un sujet douteux, captieux, qui n’a pour base" qu’une
vraisemblance au lieu d’une vérité constante c’est argumenter par
des principes plus obscurs que l’obscurité qu’on veut éclaircir, et
chercher la lumière avec les ténèbres. Ce caractère de subtilité est
celui de toutes les disputes de controverse l’un des partis dit blanc,
l’autre dit noir8; ils font des multitudes d’écrits, ilsraisonnent juste
ou non, selon la bonté de leur esprit; mais au fond, quel est le fruit
de la dispute, quel est le plaisir de celui qui l’écoute, si pour sujet et
pour principe vous avez une opinion probable au lieu d’une vérité
incontestable, un préjugé, une prévention, l’opinion des autres au
lieu de votre propre connoissance, de votre propre sentiment, con-
science, conviction intérieure ? Quelle erreur de soutenir que cette fa-
meuse controverse de M. Claude et de M. Arnauld 6 soitplus intelligible
1. Surnaturel a été omis dans l’Année littéraire et dans l’édition de j8ï8.
2. Tel est le texte de l’autographe et de K.lostermann. Dans l’Année litté-
raire et dans l’édition de 1818, la ponctuation est différente « ce qui est
un vrai pélagianisme, selon M. de Meaux. » Et les mots suivants commencent
un nouvel alinéa « It n’y a point, etc. »
3. Ici encore Fréron a ponctué autrement « seul existant par lui, seul
auteur de toute substance. »
4. « celui de toutes les controverses. » (Édition Klostermann.)
5. n L’un des partis dit blanc, l’autre noir. » [Année littéraire et édition
de r8i’S.)
6. La fameuse controverse dont veut parler ici Mme de Grignan est sans
doute celle qui s’éleva au sujet de la perpétuité de la foi catholique dans l’Eu-
charistie. Voyez à ce sujet le Port-Royal de M. Sainte-Beuve, tome IV, p. 33a et