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SUR L’ART POÉTIQUE D’HORACE. 297

teur célèbre Le seul nom des parties qui plaident pourroit faire

décider le procès; mais on espère de l’équité de M. de qu’il

l’esprit, la verve légère et amusante qu’il montre, surtout dans son dernier contredit, a en complètement tort, sinon contre tous les arguments de Dacier,

au moins sur le fond du débat. L’explicatinn de Dacier est bien plus près de

celle qu’ont définitivement adoptée les meilleurs interprètes il paraît cepen-

dant s’être trompé sur le sens de proprie dicere, Mais ce qu’on ne lui pardonnera sans doute pas*, c’est d’avoir par un ton maussade et de rogue pédanterie presque contraint son adversaire à quitter celui de la discussion polie et aimable qu’il avoit pris d’abord*

1. Des vers 119 à i35 de V Art poétique d’Horace, et plus particulièrement

du vers 128, sur lequel Dacier avait fait la Remarque suivante* « Après avoir marqué les deux qualités qu’il faut donner aux personnages qu’on in-

vente, il conseille aux poètes tragiques de n’user pas trop facilement de cette

liberté qu’ils ont d’en inventer car il est très-difficile de réussir dans ces nouveaux caractères. Il est malaisé, dit Horace, de traiter proprement, c’està-dire convenablement, des sujets communs, c’est-à-dire des sujets inventés, et

qui n’ont aucun fondement ni dans l’histoire, ni dans la fable. Et il les ap-

pelle communs, parce qu’ils sont en la disposition de tout le monde, et que tout le monde a le droit de les inventer, et qu’ils sont, comme on dit, au

premier occupant. Le jugement d’Horace est très-sûr. Il est bien difficile

d’inventer un nouveau caractère qui soit juste et naturel car ou l’on va an

delà des bornes, ou l’on demeure en deçà et pour être convaincu de cette

vérité, on n’a .qu’A comparer dans nos poètes tragiques les caractères qu’ils ont trouvés tout. formés, et ceux qu’ils ont inventés eux-mêmes on trouvera qu’ils

ont beaucoup mieux réussi dant les premiers que dans les autres. Mais quand même un poëte formeroit ce caractère fort juste, il ne seroit pas pourtant

assuré de réussir car tout le monde prétendra avoir le droit de juger de ce

caractère et de le censurer, s’il n’est pas conforme à l’idée qu’il en a, et qu’il prétend la seule bonne au lieu que quand on suit des caractères connus,

alors on est à couvert de la censure, parce qu’on a une règle commune, dont

il n’est pas permis de s’écarter, et qui est généralement reçue. Voilà pourquoi

Horace dit avec beaucoup de raison ï Difficile est proprie communia dicere.

Ceux qui ont cru qu’il appeloit ici communia des choses communes et ordi-

naires, des caractères connus et traités par d’autres poëtes, se sont infiniment trompés. Ils jettent Horace dans une contradiction manifeste, puisqu’il con-

seille immédiatement après de s’attacher aux caractères connus. Cette matière Quoi qu’en ait dit Voltaire, uniquement peut-être pour prendre le contre-

pied de ce qu’il avait lu dans YObservateur de l’abbé Desfontaines voyez le Préservatif (1738), tome XXXTII de l’édition Beuchot, p. 54g-55i.

Le Brun parle de cette querelle dans son Épure sur la bonne et la

mauvaise plaisanterie {OEuvres cfwisies, Paris, 1829, in-8°, p. i83) « Contre Dacier, dit-il, Les Greces et les Ris,

Les Grâces et les Ris,

Charmante Sévigné, combattoient pour ton fils. »

Remarques critiques sur les Œuvres d’Horace, avec une nouvelle tra-

duction, (Paris, 1689; l’Achevéd’imprimerest du Ier octobre), tome X, p. 168.