Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 11.djvu/400

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3x4 CH. DE SÉV1GNE ET DACIER

Son intention n’est pas d’enseigner à faire des tragédies aisées, il veut apprendre à en faire de parfaites. S’il eût été mieux d’en inventer les sujets que d’en choisir de connus, il l’auroit ordonné malgré la difficulté qu’on y aurolt pu trouver. Il est toujours très-difficile dans tous les arts d’atteindre à la perfection; cela n’empêche pas ceux qui en donnent les préceptes d’exhorterà y parvenir. Je conclus de là que le difficile d’Horace est un difficile où il faut tendre, et non pas un difficile qu’il faille éviter.

Je viens enfin au mot communia. Je reçois toutes les définitions de M. D* «Les choses communes sont des choses qui sont exposées à tout le monde, et qui sont au premier occupant. Le Cerf et le Cheval étoient dans des herbes communes, et qui leur appartenoient également à tous deux. » J’embrasse de tout mon cœur cette définition, et je l’applique à notre dispute. Écoutons parler Horace Difficile est proprie communia dicere.

Voici la traduction de M. D** « Il est difficile de traiter convenablement ces caractères que tout le monde peut inventer1. » Je lui demande, si ces caractères ne sont pas encore inventés, comment sontils à l’usage de tout le monde, et aupremier occupant? Le pré où le Cerf etle Cheval se battoient, et qui leur étoit commun, existoit avant qu’ils y vinssent. Une chose ne peut être commune ayant que d’être le néant n’a point de propriété. Combien inventera-t-on de choses d’ici à deux cents ans? M. D** auroit– bien le courage de les appeler « communes » ? Elles ne sont pas encore dans la nature; elles seront pourtant imaginées et trouvées par des hommes comme nous et nous pourrions nous-mêmes les trouver et les imaginer sont-elles « communes pour cela? M. D**s’offenseroit assurément si on lui attribuoit une telle pensée je le supplie de ne pas faire cette injustice à Horace. Il lui a rendu de si grands services, en faisant connoître toutes ses beautés, qu’il nedoit pas gâter lui-même ses propres bienfaits, en donnant à un mot une interprétation forcée, contre la définition qu’il en donne lui-même. Le sens de ces trois vers, qui partagent maintenant les plus beaux esprits de l’Académie, sera donc « qu’il est difficile de traiter d’une manière propre, convenable, etc*, les sujets connus, et que cependant on fera beaucoup mieux de les choisir que d’en inventer de chimériques. » JI ne faut pas dire qu’il n’est pas question dans cet endroit de l’action des tragédies, mais des caractères seuls. Toutes les tragédies sont composées de caractères t. Nous avons vu plus haut, p. 302, note 4, que la traduction de 1689 était bien plus longue.