Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 11.djvu/399

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SUR L’ART POÉTIQUE D’HORACE. 3r3

ménager le temps, et moins perdre ses paroles’. 01 Horace avoit voulu dire ce que M. D** a voulu exprimer dans sa paraphrase, les trois vers qui commencent par ces mots Si quld inexpertum, etc.f seroient une répétition inutile de ce qu’il auroit déjà dit. Il n’est pas à croire qu’Horace ait employé trois vers pour donner un précepte qui étoit déjà parfaitement expliqué dans la moitié d’un seul vers. Je ne puis penser qu’il exhortât les Pisons, et en leurs personnes tous les poëtes, à feindre des mœurs etdes actions qui convinssent à un personnage inventé. On ne peut inventerun personnage qu’on ne lui donne en même temps des mœurs et un caractère. Toutes sortes de mœurs et de caractères lui conviennent, et dépendent de la fantaisie du poëte en un mot, tout convient à un acteur chimérique, dont on peut faire à son gré un héros ou un scélérat et ses raisons me persuadent que si cette moitié de vers signifioit ce que M. D** lui fait dire, ou il n’auroit point de sens, ou il auroit été inutile de faire trois autres vers pour dire la même chose. Notre juge est très-humblement supplié de se souvenir de cette remarque.

M. D** prétend que le mot audes, qui est dans le premier vers du passage que nous expliquons, fait pour lui et je prétends encore qu’il est pour moi. M. D** dit qu’Horace a voulu marquer par ce terme combien c’est une entreprise grande et difficile d’inventer le sujet d’une tragédie et moi je soutiens qu’il a seulement voulu dire que « si l’on est assez hardi pour hasarder de mettre un sujet inventé sur le théâtre, il faut observer, etc. » Or cette hardiesse est très-périlleuse, et elle l’étoit encore davantage du temps d’Horace, où jepenseque le peuple étoit accoutumé à ne voir représenter que des sujets connus. II fait donc voir aux Pisons combien cette hardiesse est grande, non pour les encourager, mais pour les en détourner, en leur montrant combien elle est dangereuse.

A l’égard de la difficulté qui s’y rencontre, ellene consiste pas à soutenir un caractère inventa mais à plaire en Inventant un caractère ce n’est pas là aussi ce qu’Horace a appelé difficile. Dès qu’on voudra donner l’essor son imagination, on inventera et on soutiendra aisément telscaractèresqu’on voudra. La peine sera incomparablement plus grande à bien imiter les mœurs et les caractères d’Achille, d’Agamemnon, etc., étales faire agir et parler comme ils auroient dû faire, selon les idées que nous en avons.

Il est vrai que P Art poétique est dédié aux Pisons, jeunes Romains adonnés à la poésie, mais Horace n’a pas prétendu ne parler qu’à eux. I. Voyez an tome VI de VUorace de Daeier (1689), p. 34, la Remarque sur le vers 16 de la première satire du livre I.