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Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 11.djvu/416

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33o CH. DE SÉVIGNÉ ET DACIER

sujets, non par la difficulté qu’il y a d’inventer, mais parce qu’il est presque assuré qu’on ne plaira pas autant aux spectateurs en leur représentant des imaginations, que les actions véritables ou feintes d’un héros qu’ils respectent.

J’ai oui dire que Castel-Vetro (que par parenthèse je n’ai jamais lu) dit sur ce sujet: Dope manca la fè, manca Paffetto* Cela est décisif en ma faveur; et l’étonnement d’Aristote sur la comédie d’Agathon est encore d’un plus grand poids. Après avoir ordonné qu’on prît des fables connues pour sujet des tragédies, il dit « Nous avons pourtant vu la comédie d’Agathon nommée la Fleur, où tout est inventé, les noms aussi bien que la fable, et elle n’a pas laissé de plaire2. » On voit assez par là que le dessein d’Agathon n’étoit pas sensé, et qu’il se faut bien garder de l’imiter, quoique le succès de sa pièce ait été plus favorable qu’il n’auroit dû l’espérer en prenant une route si extraordinaire.

M. Z> « Horace veut détourner les Pisons d’inventer des sujets parce qu’il présume avec raison que des gens qui commencent ne sont pas assez fort pour voler de leurs propres ailes; car s’il les croyoit assez forts, il leur conseilleroit de mettre sur la scène des caractères nouveaux, comme des caractères connus ils ne touchent pas moins que les autres; cela a été prouvé. »

Reponse. C’est donc selon M. D** un coup de maître que d’exposer sur la scène des caractères inventés; et c’est l’entreprise d’un écolier de bien représenter des personnages connus. M. D** dit qu’il l’a prouvé. Cela me fait souvenir de cet évèque qui avoit entrepris de prouver qu’il y avoit trente-deux hérésies dans le livre de la Fréquente Communion. Au commencement de son ouvrage il disoit: « comme nous le prouverons ci-dessous; » et à la fin il disoit « comme nous l’avons prouvé ci-dessus » sans que, ni ci-dessous, ni ci-dessus, il y eût la moindre chose démontrée ni prouvé Je prie à mon tour M. D** de se souvenir qu’il n’y a rien de moins 1. « Oa manque la créance, manque l’affection; c’est-à-dire e On ne peut s’affectionner, s’intéresser à ce qu’on ne croit pus. » Louis CastelVetro, né à Modène, en i5o5, mort à Bâle, en i5^ï, auteur d’Éclaircissements sur la Poétique d’Aristote. Voyez le jugement sévère que Dacier porte de lui dans sa préface à la Poétique d’Arïstote, p. xxv et xxvi (édition d’Amsterdam, 173S).

2. Voyez le chapitre ix de la Poétique d’Aristote. Sêrignê n’a pas emprunté ici la traduction de Dacier.

3. Peut-être les jansénistes avaient-ils fait ce conte de l’évêque de Lavaur Raconis voyez le Port-Royal de M. Sainte-Beuve, tome Il, p. i85.