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et ne perdons pas notre temps et notre poumon. Si vous ne le voulez point, trouvez bon que je n’en fasse point les façons ; » et si elles ne vouloient pas, je leur ferois tout haut votre compliment intérieur. Je ne m’étonne pas si cette sorte de manège vous impatiente ; j’y ferois moins bien que vous.

Parlons un peu de votre frère : il a eu son congé de Ninon. Elle s’est lassée d’aimer sans être aimée ; elle a redemandé ses lettres, on les a rendues : j’ai été fort aise de cette séparation. Je lui disois toujours un petit mot de Dieu, et le faisois souvenir de ses bons sentiments passés, et le priois de ne point étouffer le Saint-Esprit dans son cœur. Sans cette liberté de lui dire en passant quelque mot, je n’aurois pas souffert cette confidence dont je n’aurois que faire. Mais ce n’est pas tout : quand on rompt d’un côté, on croit se racquitter de l’autre ; on se trompe. La jeune merveille[1] n’a pas rompu, mais je crois qu’elle rompra. Voici pourquoi : mon fils vint hier me chercher du bout de Paris pour me dire l’accident qui lui étoit arrivé. Il avoit trouvé une occasion favorable, et cependant, oserois-je le dire ? son dada demeura court à Lérida[2]. Ce fut une chose étrange ; la demoiselle ne s’étoit jamais trouvée à telle fête : le cavalier en désordre

  1. 3. La Champmeslé, alors âgée de vingt-sept ans. Voyez la note 21 de la lettre 146.
  2. 4. Ces mots qui se lisent dans le manuscrit et que les éditeurs ont omis, sont sans doute tirés d’une des nombreuses chansons qui furent faites sur la levée du siège de Lérida (en 1646 sous le comte d’Harcourt, et en 1647 sous le duc d’Enghien). Voyez les Mémoires de Gramont, chap. VIII : « Monsieur le Prince étoit le premier à nous mettre en train sur son siège. Nous fîmes quelques couplets sur ces Lérida qui ont tant couru, afin qu’on n’en fit pas de plus mauvais. Nous n’y gagnâmes rien : nous eûmes beau nous traiter cavalièrement dans nos chansons, on en fit à Paris où l’on nous traitoit encore plus mal. »