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sortit en déroute, croyant être ensorcelé ; et ce qui vous paroîtra plaisant, c’est qu’il mouroit d’envie de me conter sa déconvenue. Nous rimes fort ; je lui dis que j’étois ravie qu’il fût puni par où il avoit péché. Il s’est pris à moi, et me dit que je lui avois donné de ma glace, qu’il se passeroit fort bien de cette ressemblance, que j’aurois bien mieux fait de la donner à ma fille. Il vouloit que Pecquet le restaurât ; il disoit les plus folles choses du monde, et moi aussi : c’étoit une scène digne de Molière. Ce qui est vrai, c’est qu’il a l’imagination tellement bridée, que je crois qu’il n’en reviendra pas sitôt. J’eus beau l’assurer que tout l’empire amoureux est rempli d’histoires tragiques : il ne peut se consoler. La petite Chimène dit qu’elle voit bien qu’il ne l’aime plus, et se console ailleurs. Enfin c’est un désordre qui me fait rire, et que je voudrois de tout mon cœur qui le pût retirer d’un état si malheureux à l’égard de Dieu.

Il me contoit l’autre jour qu’un comédien vouloit se marier, quoiqu’il eût un certain mal un peu dangereux ; et son camarade lui dit : « Eh, morbleu ! attends que tu sois guéri, tu nous perdras tous. » Cela m’a paru fort épigramme[1].

Ninon disoit l’autre jour à mon fils qu’il étoit une vraie citrouille fricassée dans la neige. Vous voyez ce que c’est que de voir bonne compagnie ; on apprend mille gentillesses.

Je n’ai point encore loué votre appartement, quoiqu’il vienne tous les jours des gens pour le voir, et que je l’aie laissé pour moins de cinq cents écus.

Pour votre enfant, voici de ses nouvelles. Je la trouvai

  1. 5. Le mot est de Racine et devint la pointe d’une épigramme qu’il mit en vers avec Boileau. Voyez Walckenaer, Histoire de la Fontaine, p. 260, et Boileau, Épigramme III, Sur une personne fort connue.