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1671 Parlons un peu de votre frère, ma fille : il est tout ce qui plaît aux autres ; il est d’une foiblesse à faire mal au cœur. Il plut hier à trois de ses amis de le mener souper dans un lieu d’honneur : il y fut. Ces messieurs sont trop habiles pour vouloir courir la fortune ; ils disent à votre frère de payer, je dis payer de sa personne : tout misérable qu’il est encore, il paye, et puis il me vient tout conter, en disant qu’il se fait mal au cœur à lui-même. Je lui dis qu’il me fait mal au cœur aussi, je lui fais honte ; je lui dis que ce n’est point là la vie d’un honnête homme, qu’il trouvera quelque chape-chute, et qu’à force de s’exposer il aura son fait. Je prêche un peu ensuite ; il demeure d’accord de tout, et n’en fait ni plus ni moins. Il a quitté la comédienne[1], après l’avoir aimée par-ci par-là. Quand il la voyoit, quand il lui écrivoit, c’étoit de bonne foi ; un moment après, il s’en moquoit à bride abattue. Ninon l’a quitté : il étoit malheureux quand elle l’aimoit ; il est au désespoir de n’en être plus aimé, et d’autant plus qu’elle n’en parle pas avec beaucoup d’estime : « C’est une âme de bouillie, dit-elle, c’est un corps de papier mouillé, un cœur de citrouille fricassé dans de la neige : » je vous l’ai déjà dit. Elle voulut l’autre jour lui faire donner les lettres de la comédienne ; il les lui donna ; elle en a été jalouse. Elle vouloit les donner à un amant de la princesse, afin de lui faire donner quelques petits coups de baudrier. Il me le vint dire ; je lui dis que c’étoit un infâme que de couper ainsi la gorge à cette petite créature pour l’avoir aimé ; qu’elle n’avoit point sacrifié ses lettres, comme on vouloit lui faire croire pour l’animer ; qu’elle les lui avoit rendues ; que c’étoit une vilaine trahison et basse et indigne d’un homme de qualité, et que même dans les choses malhonnêtes, il y

  1. Lettre 159 (revue sur une ancienne copie). — 1. La Champmeslé.