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avoit de l’honnêteté à observer. Il entra dans mes raisons, il courut chez Ninon, et moitié figue et moitié raisin, moitié par adresse, moitié par force, il retira les lettres de cette pauvre diablesse : je les ai fait brûler. Vous voyez par là combien le nom de comédienne m’est de quelque chose. Cela est un peu de la Visionnaire de la comédie[1] ; elle en eût fait autant, et je fais comme elle. Mon fils a conté ces folies à M. de la Rochefoucauld, qui aime les originaux. Il approuva ce que je lui dis l’autre jour, que mon fils n’étoit point fou par la tête, c’est par le cœur : ses sentiments sont tout vrais, sont tout faux, sont tout froids, sont tout brûlants, sont tout fripons, sont tout sincères ; enfin son cœur est fou. Nous rîmes fort de tout cela, et avec mon fils même, car il est de bonne compagnie, et dit tôpe à tout. Nous sommes très-bien ensemble, je suis sa confidente, et je conserve cette vilaine qualité, qui m’attire de si vilaines confidences, pour être en droit de lui dire mes sentiments sur tout. Il me croit autant qu’il peut, il me prie que je le redresse : je le fais comme une amie. Il veut venir avec moi en Bretagne pour cinq ou six semaines : s’il n’y a point de camp en Lorraine, je l’emmènerai. Voilà bien des folies ; mais comme vous y prenez intérêt, il m’a semblé qu’elles ne vous ennuieroient pas.

Vous me parlez très-tendrement et très-obligeamment du voyage de Provence. Soyez assurée une bonne fois que l’abbé et moi, nous le souhaitons, et que c’est une des plus agréables espérances que nous puissions avoir. Il est

  1. 2. Allusion à la Sestiane des Visionnaires de Desmarets. C’est celle des visionnaires qui est amoureuse de la Comédie. Il faut, dit-elle (acte II, scène iv),

    Que nous parlions aussi touchant la Comédie :
    C’est ma passion…