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trouvé qu’elle ressemble à une amande lissée[1]. Voilà de ces sortes de physionomies qui ne se raccommoderont jamais avec moi.

J’ai fait moi-même déménager et mettre en sûreté tous vos meubles dans une chambre que j’ai réservée ; j’ai été présente à tout. Pourvu que vous ayez intérêt à quelque chose, elle est digne de mes soins. Je n’ai pas tant d’amitié pour moi, Dieu m’en garde. Je n’ai garde, ma bonne, de dire à notre océan la préférence que vous lui donnez : il en seroit trop glorieux ; il n’est pas besoin de lui donner plus d’orgueil qu’il n’en a.

Bien du monde s’en va lundi comme moi. Brancas est parti ; je ne sais si cela est bien vrai, car il ne m’a point dit adieu ; il croyoit peut-être l’avoir fait. Il étoit l’autre jour debout devant la table de Mme de Coulanges ; je lui dis : « Asseyez-vous donc, ne voulez-vous pas souper ? » Il se tenoit toujours debout. Mme de Coulanges lui dit ; « Asseyez-vous donc. — Parbleu ! dit-il, Mme de Sanzei[2] se fait bien attendre ; je crois qu’on ne lui a pas dit qu’on a servi. » C’étoit elle qu’il attendoit, et il y a environ cinq semaines qu’elle est à Autry[3]. Cette civilité, faite fort naïvement, nous fit rire.

Je vous conjure, ma très-chère bonne et très-belle de ne point prendre de chocolat. Je suis fâchée contre lui personnellement. Il y a huit jours que j’eus seize heures durant une colique et une suppression qui me fit toutes les douleurs de la néphrétique. Pecquet me dit qu’il y avait

  1. 9. « On appelle amandes lissées certaines dragées où il y a des amandes. » (Dictionnaire de l’Académie de 1694.)
  2. 10. Anne-Marie de Coulanges, sœur du chansonnier, femme en 1661 de Louis Turpin de Crissé, comte de Sanzei. Son mari disparut dans la campagne de 1675. Voyez la Notice, p. 146.
  3. 11. La terre et baronnie d’Autry, près de Gien (Loiret), appartenait au comte de Sanzei.