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le trouve le plus naturel du monde. On n’est point au diable, parce qu’on craint Dieu, et qu’au fond on a un principe de religion ; on n’est point à Dieu aussi, parce que sa loi est dure, et qu’on n’aime point à se détruire soi-même. Cela compose les tièdes, dont le grand nombre ne m’inquiète point du tout ; j’entre dans leurs raisons. Cependant Dieu les hait : il faut donc en sortir, et voilà la difficulté. Mais peut-on jamais être plus insensée que je le suis en vous écrivant à l’infini toutes ces rapsodies ? Ma chère enfant, je vous demande excuse à la mode du pays ; je cause avec vous, cela me fait plaisir. Gardez-vous bien de m’y faire réponse ; mandez-moi seulement des nouvelles de votre santé, un demi-brin de vos sentiments, pour voir seulement si vous êtes contente et comme vous trouvez Grignan : voilà tout. Aimez-moi ; quoique nous ayons tourné ce mot en ridicule, il est naturel, il est bon ; et pour moi, je ne vous dirai point si je suis à vous, de quel cœur, ni avec quelle tendresse naturelle. J’embrasse le Comte. Notre abbé vous adore et la Mousse.


175. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 14e juin.

Je comptois recevoir vendredi deux de vos lettres à la fois ; et comment se peut-il que je n’en aie seulement pas une ? Ah ! ma fille, de quelque endroit que vienne ce retardement, je ne puis vous dire ce qu’il me fait souffrir. J’ai mal dormi ces deux nuits passées ; j’ai renvoyé deux fois à Vitré, pour chercher à m’amuser de quelque espérance ; mais c’est inutilement. Je vois par là que mon repos