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ne me donne point de raison de celles de Provence ; mais, mon cher Monsieur, d’où cela vient-il ? Ma fille ne m’écrit-elle plus ? Est-elle malade ? Me prend-on mes lettres ? car, pour les retardements de la poste, cela ne pourroit pas faire un tel désordre. Ah ! mon Dieu, que je suis malheureuse de n’avoir personne avec qui pleurer ! J’aurois cette consolation avec vous, et toute votre sagesse ne m’empêcheroit pas de vous faire voir toute ma folie. Mais n’ai-je pas raison d’être en peine ? Soulagez donc mon inquiétude, et courez dans les lieux où ma fille écrit, afin que je sache au moins comme elle se porte. Je m’accommoderai mieux de voir qu’elle écrit à d’autres, que de l’inquiétude où je suis de sa santé. Enfin, je n’ai pas reçu de ses lettres depuis le 5e de ce mois, elles étoient du 23 et 26e mai ; voilà donc douze jours et deux ordinaires de poste. Mon cher Monsieur, faites-moi promptement réponse ; l’état où je suis vous feroit pitié. Écrivez un peu mieux ; j’ai peine à lire vos lettres, et j’en meurs d’envie. Je ne réponds point à toutes vos nouvelles, je suis incapable de tout. Mon fils est revenu de Rennes ; il y a dépensé quatre cents francs en trois jours : la pluie est continuelle[1]. Mais tous ces chagrins seroient légers, si j’avois des lettres de Provence. Ayez pitié de moi ; courez à la poste, apprenez ce qui m’empêche d’en avoir comme à l’ordinaire. Je n’écris à personne et je serois honteuse de vous faire voir tant de foiblesses, si je ne connoissois vos extrêmes bontés.

Le gros abbé[2] se plaint de moi ; il dit qu’il n’a reçu qu’une de mes lettres. Je lui ai écrit deux fois ; dites-lui, et que je l’aime toujours.


  1. Comparez la lettre suivante, p. 250, et la fin de la lettre 169, p. 223.
  2. Voyez la note 11 de la lettre 164.