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Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/254

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quand je n’en aurai plus ; voilà le malheur d’être éloignés ; hélas ! il n’est pas seul.

Mais savez-vous bien ce qu’elles étoient devenues ces chères lettres que j’attends et que je reçois avec tant de joie ? On avoit pris la peine de les envoyer à Rennes, parce que mon fils y a été. Ces faussetés qu’on dit toujours ici sur toutes choses s’étoient répandues jusque-là ; vous pouvez penser si j’ai fait un beau sabbat à la poste.

Vous me mandez des choses admirables de vos cérémonies de la Fête-Dieu ; elles sont tellement profanes que je ne comprends pas comme votre saint archevêque[1] les veut souffrir : il est vrai qu’il est Italien, et cette mode vient de son pays ; j’en réjouirai ce soir le bonhomme Coetquen, qui vient souper avec moi. Je suis encore plus contente du reste de vos lettres. Enfin, ma pauvre bonne, vous êtes belle ! Comment ? je vous reconnoîtrois donc entre huit ou dix femmes, sans m’y tromper. Quoi ! vous n’êtes point pâle, maigre, abattue comme la princesse Olympie[2] ! Quoi ! vous n’êtes point malade à mourir comme je vous ai vue ! Ah ! ma bonne, je suis trop heureuse. Au nom de Dieu, amusez-vous, appliquez-vous à vous bien conserver ; songez que vous ne pouvez rien faire dont je vous sois si sensiblement obligée. C’est à M. de Grignan à vous dire la même chose, et à vous aider dans cette occupation. C’est d’un garçon que vous êtes

  1. Le cardinal Grimaldi. Voyez la note 5 de la lettre 157.
  2. Allusion à une héroïne de l’Arioste. La princesse Olympie, abandonnée par Birène dans une île déserte, cherche en vain son époux qui n’est plus à ses côtés ; elle gravit un rocher, et aperçoit dans le lointain la voile qui emporte l’infidèle. À cette vue, elle tombe toute tremblante, plus pâle et plus froide que la neige :

    Tutta tremante si lascio eadere,
    Pin bianca e più che neve fredda in volto.

    (Orlando furioso, canto X, stanza xxxv.)