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fait Mlle de Scudéry sur certains sonnets, les rendoit agréables à lire. Pour Tacite, vous savez comme j’en étois charmée ici pendant nos lectures, et comme je vous interrompois souvent pour vous faire entendre des périodes où je trouvois de l’harmonie ; mais si vous en demeurez à la moitié, je vous gronde ; vous ferez tort à la majesté du sujet ; il faut vous dire, comme ce prélat disoit à la Reine mère : « Ceci est histoire ; » vous savez le conte. Je ne pardonne ce manque de courage qu’aux romans, que vous n’aimez pas. Nous lisons le Tasse avec plaisir : je m’y trouve habile, par l’habileté des maîtres que j’ai eus. Mon fils fait lire Cléopatre[1] à la Mousse, et malgré moi je l’écoute et j’y trouve encore quelque amusement.

Mon fils s’en va en Lorraine ; son absence nous donnera beaucoup d’ennui. Vous savez comme je suis sur le chagrin de voir partir une compagnie agréable ; vous savez aussi mes transports de voir partir une chienne de carrossée qui m’a contrainte et ennuyée : c’est ce qui nous faisoit décider nettement qu’une méchante compagnie est plus souhaitable qu’une bonne. Je me souviens de toutes ces folies que nous avons dites ici, et de tout ce que vous y faisiez, et de tout ce que vous y disiez : ce souvenir ne me quitte jamais ; et puis tout d’un coup je pense où vous êtes : mon imagination ne me présente qu’un grand espace fort éloigné. Votre château m’arrête présentement les yeux ; les murailles de votre mail me déplaisent[2]. Le nôtre est d’une beauté surprenante, et tout le jeune plant que vous avez vu est délicieux : c’est une jeunesse que je prends plaisir d’élever jusques aux nues ; et très-souvent,

  1. 4. Roman de la Calprenède. Voyez la Notice, p. 163, et les lettres des 12 et 15 juillet 1671.
  2. 5. Ces murailles à hauteur d’appui existent encore. Le mail de Grignan, ombragé de vieux ormeaux, tapissé d’une belle pelouse, est hors de la ville, et assez loin du château. (Note de l’édition de 1818.)