Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 2.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 279 —

1671


me laissent le champ libre dans mon mail, pour y faire tout ce qui me plaît. Il me plaît de m’y promener le soir jusqu’à huit heures ; mon fils n’y est plus ; cela fait un silence, une tranquillité et une solitude que je ne crois pas qu’il soit aisé de rencontrer ailleurs.

Oh ! que j’aime la solitude !
Que ces lieux sacrés à la nuit,
Éloignés du monde et du bruit,
Plaisent à mon inquiétude[1] !

Je ne vous dis point, ma bonne, à qui je pense, ni avec quelle tendresse : à qui devine, il n’est pas besoin de parler. Si vous n’étiez point grosse, et que l’hippogriffe fût encore au monde, ce seroit une chose galante, et à ne jamais l’oublier, que d’avoir la hardiesse de monter dessus pour me venir voir quelquefois. Hélas ! ma bonne, ce ne seroit pas une affaire ; il parcourt la terre en deux jours ; vous pourriez même quelquefois venir dîner ici, et retourner souper avec M. de Grignan ; ou souper ici à cause de la promenade, où je serois bien aise de vous avoir, et le lendemain vous arriveriez assez tôt pour être à la messe dans votre tribune[2].

Mon fils est à Paris ; il y sera peu : la cour est de retour, il ne faut pas qu’il se montre. C’est une perte qui me paroît bien considérable que celle de M. le duc d’Anjou[3]. On me mande que ma petite-enfant est fort jolie ; que sa

  1. LETTRE 184 (revue sur une ancienne copie ; voyez le spécimen comparatif placé à la suite de l’Avertissement du tome Ier.) — 1. Premiers vers de l'Ode à la Solitude de Saint-Amant : voyez ses Œuvres, Paris, T. Quinet, 1642, in-4o, Ire partie, p. 6.
  2. 2. Cette tribune existe encore ; elle est fort élevée ; elle donne sur la nef de l’église collégiale ; le château n’a point d’autre chapelle. (Note de l’édition de 1818.)
  3. 3. Philippe, second fils de Louis XIV, mort le 10 juillet 1671, à l’âge de trois ans.