plaisir de croire voir le contraire ? Je prends d’Hacqueville à témoin de l’état où il m’a vue autrefois. Mais quittons ces tristes souvenirs[1], et laissez-moi jouir d’un bien sans lequel la vie m’est dure et fâcheuse ; ce ne sont point des paroles, ce sont des vérités. Mme de Guénégaud m’a mandé de quelle manière elle vous a vue pour moi : je vous conjure d’en conserver le fond ; mais plus de larmes, je vous en conjure : elles ne vous sont pas si saines qu’à moi. Je suis présentement assez raisonnable ; je me soutiens au besoin, et quelquefois je suis quatre ou cinq heures tout comme un autre ; mais peu de chose me remet à mon premier état : un souvenir, un lieu, une parole, une pensée un peu trop arrêtée, vos lettres surtout, les miennes même en les écrivant, quelqu’un qui me parle de vous, voilà des écueils à ma constance, et ces écueils se rencontrent souvent. J’ai vu Raymond[2] chez la comtesse du Lude ; elle me chanta un nouveau récit du ballet[3], il est admirable ; mais si vous voulez qu’on le chante, chantez-le. Je vois Mme de Villars, je m’y plais, parce qu’elle entre dans mes sentiments ; elle vous dit
- ↑ LETTRE 136 (revue sur une ancienne copie). — 1. Voyez la Notice, p. 121 et suivante.
- ↑ 2. Mlle de Raymond était une cantatrice célèbre par sa beauté, sa belle voix et son talent à s’accompagner sur le téorbe. Elle se retira quelques années plus tard au couvent de la Visitation du faubourg Saint-Germain. Voyez les lettres du 21 octobre et du 6 novembre 1676. Le baron de Sévigné, dans la lettre du 6 mars 1671, mande à sa sœur qu’il a assisté à une symphonie chez Mlle de Raymond — Sur la comtesse du Lude, voyez la note 2 de la lettre du Ier avril 1671.
- ↑ 3. On donna cette année, le 17 janvier, au palais des Tuileries, dans la salle des Machines, et le 24 juillet sur le théâtre de Molière, la tragédie-ballet de Psyché, dont les vers étaient de Molière, de Corneille et de Quinault, et la musique de Lulli. — « On appelle récit tout ce qui est chanté par une voix seule, qui se détache d’un grand chœur de musique. » (Dictionnaire de l’Academie de 1694.) Voyez la note 5 de la lettre 110.