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elle n’est pas si téméraire que vous pensez. Deux mille chevaux passent pour en aller attaquer quatre ou cinq cents. Les deux mille sont soutenus d’une grande armée, où le Roi est en personne, et les quatre ou cinq cents sont des troupes épouvantées par la manière brusque et vigoureuse dont on a commencé la campagne. Quand les Hollandois auroient eu plus de fermeté en cette rencontre, ils n’auroient tué qu’un peu plus de gens, et enfin ils auroient été accablés par le nombre. Si le prince d’Orange avoit été à l’autre bord du Rhin avec son armée, je ne pense pas que l’on eût essayé de passer à nage devant lui, et c’est ce qui auroit été téméraire, si l’on l’avoit hasardé[1]. Cependant c’est ce que fit Alexandre au passage du Granique. Il passa avec quarante mille hommes cette rivière à nage, malgré cent mille qui s’y opposoient. Il est vrai que s’il eût été battu, on auroit dit que c’eût été un fou ; et ce ne fut que parce qu’il réussit, que l’on dit qu’il avoit fait la plus belle action du monde.

Je suis fort aise, ma chère cousine, que votre déchaînement contre la guerre n’ait d’autre raison que la crainte de l’avenir, et que M. de Sévigné se soit tiré heureusement d’affaires. Il faut espérer qu’il sera toujours aussi heureux. Ce n’est pas que le maréchal de la Ferté ne dise que la guerre dit : Attends-moi, je t’aurai. Mandez-moi si Monsieur votre fils étoit commandé de passer. Si mon fils vous plaît, Madame, il peut bien plaire à d’autres : vous avez le goût bon.


  1. 5. On croit que cette lettre, dans laquelle Bussy parle du passage du Rhin comme l’ont fait depuis les historiens, n’a pas été entièrement ignorée du Roi, et qu’elle a pu contribuer à prolonger la disgrâce du Comte.