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et l’Espagne en douze jours, en prenant Maestricht, et qu’il ne manque à sa gloire que la vraisemblance[1]. Ils diront qu’il en est lui-même le destructeur, à force de la rendre incroyable ; et mille belles pensées dont je ne m’avise pas, tant parce que j’ai l’esprit peu fleuri, que parce que je l’ai sec depuis un an, à cause que je me suis adonné à la philosophie de Descartes. Elle me paroît d’autant plus belle qu’elle est facile, et qu’elle n’admet dans le monde que des corps et du mouvement, ne pouvant souffrir tout ce dont on ne peut avoir une idée claire et nette. Sa métaphysique me plaît aussi ; ses principes sont aisés et les inductions naturelles. Que ne l’étudiez-vous ? elle vous divertiroit avec Mlles  de Bussy. Mme de Grignan la sait à miracle, et en parle divinement. Elle me soutenoit l’autre jour que plus il y a d’indifférence dans l’âme, et moins il y a de liberté. C’est une proposition que soutient agréablement M. de la Forge, dans un Traité de l’esprit de l’homme, qu’il a fait en françois, et qui m’a paru admirable[2].

  1. 9. Corbinelli se souvient de la IVe Épitre au Roi, publiée par Boileau au mois d’août de l’année précédente :

    Car puisqu’en cet exploit tout paroît incroyable,
    Que la vérité pure y ressemble à la fable, etc.

    Dans le manuscrit de l’Institut, Bussy a modifié et surtout resserré cette partie de la lettre : « Le sujet est ample et beau. J’ai de bonnes intentions sur cela, mais j’ai l’esprit naturellement peu fleuri, et d’ailleurs je me suis adonné à la philosophie de Descartes depuis un an, ce qui me rend plus sec que je n’ai jamais été. » De toute la suite de la lettre, il n’a gardé que la dernière phrase : « Adieu, Monsieur, donnez-nous de vos nouvelles de temps en temps, s’il vous plaît, etc… pas moins votre serviteur que je le suis. »

  2. 10. « Descartes entendait par indifférence cet état neutre de l’âme dans lequel elle se trouve quand elle ne sait à quoi se déterminer ; « de sorte, disait-il, que cette indifférence que je sens lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids