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1673

345. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ À MADAME DE GRIGNAN.

À Paris, lundi 13e novembre.

J’ai reçu, ma très-chère, votre grande, bonne et admirable lettre du 5e, par le chevalier de Chaumont. Je connois ces sortes de dépêches : elles soulagent le cœur, et sont écrites avec une impétuosité qui contente ceux qui les écrivent. De tous ceux à qui on peut écrire de semblables paquets, je suis au premier rang pour les bien recevoir et pour être pénétrée de tout ce qu’on y voit, et de tout ce qu’on y apprend. J’entre dans vos sentiments : il me semble que je vous vois, que je vous entends, et que j’y suis moi-même. J’ai lu votre lettre avec notre cher et très-aimable ami d’Hacqueville ; vous ne sauriez le trop aimer, mais il gronde de vous voir si emportée : il voudroit que vous imitassiez vos ennemis qui disent des douceurs et donnent des coups de poignard ; ou que du moins[1], si vous ne voulez pas suivre cette parfaite trahison, vous sussiez mesurer vos paroles et vos ressentiments, et que vous allassiez votre chemin, sans vous consumer[2] et vous faire malade ; que vous n’eussiez point approuvé la guerre déclarée, et surtout que jamais vous ne missiez en jeu M. de Pompone sur ce qu’il vous écrit en secret, et dont la source peut aisément se découvrir ; car ce que l’on fait là-dessus, c’est de haïr ceux qui nous attirent des éclaircissements, et de ne leur plus dire rien : je vous exhorte à prendre garde à cet article.

  1. Lettre 345. — 1, Dans l’édition de la Haye (1726) : « Il ne voudroit point que vous imitassiez vos ennemis, etc. ; mais que sans suivre cette parfaite trahison, etc. » — Voyez plus haut, p. 185, le commencement de la lettre 312.
  2. 2. « Consommer. » (Édition de la Haye, 1726.) Voyez tome II, p. 75, note 9.