Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 3.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 472 —

1675


Il y a des gens qui m’ont voulu faire croire que l’excès de mon amitié vous incommodoit ; que cette grande attention à vouloir découvrir vos volontés, qui tout naturellement devenoient les miennes, vous faisoit assurément une grande fadeur et un dégoût. Je ne sais, ma chère enfant, si cela est vrai : ce que je puis vous dire, c’est qu’assurément je n’ai pas eu dessein de vous donner cette sorte de peine. J’ai un peu suivi mon inclination, je l’avoue ; et je vous ai vue autant que je l’ai pu, parce que je n’ai pas eu assez de pouvoir sur moi pour me retrancher ce plaisir ; mais je ne crois point vous avoir été pesante. Enfin, ma fille, aimez au moins la confiance que j’ai en vous, et croyez qu’on ne peut jamais être plus dénuée ni plus touchée que je le suis en votre absence.

La Providence m’a traitée bien rudement, et je me trouve fort à plaindre de n’en savoir pas faire mon salut. Vous me dites des merveilles de la conduite qu’il faut avoir pour se gouverner dans ces occasions ; j’écoute vos leçons, et je tâche d’en profiter. Je suis dans le train de mes amies, je vais, je viens ; mais quand je puis parler de vous, je suis contente, et quelques larmes me font un soulagement nompareil. Je sais les lieux où je puis me donner cette liberté ; vous jugez bien que, vous ayant vue partout, il m’est difficile dans ces commencements de n’être pas sensible à mille choses que je trouve en mon chemin. Je vis hier les Villars, dont vous êtes révérée ; nous étions en solitude aux Tuileries ; j’avois dîné chez Monsieur le Cardinal, où je trouvai bien mauvais de ne vous voir pas. J’y causai avec l’abbé de Saint-Mihel[1], à qui

  1. Lettre 405. — 1. Dom Ennesson ou Hennezon, abbé de Saint-Mihel, était le confesseur de Retz. On lui attribue les ratures faites sur le manuscrit des Mémoires du Cardinal.