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1672


conversation : elle nous en donnoit le sujet par ses extrêmes souffrances, qu’elle ne souffre pas qu’on mette en comparaison avec nul autre mal de la vie. M. de la Rochefoucauld est bien de cet avis : il est toujours accablé de goutte ; il a perdu sa vraie mère[1], dont il est véritablement affligé ; je l’en ai vu pleurer avec une tendresse qui me le faisoit adorer. C’étoit une femme d’un extrême mérite ; et enfin, dit-il, c’étoit la seule qui n’a jamais cessé de m’aimer. Ne manquez pas de lui écrire, et M. de Grignan aussi. Le cœur de M. de la Rochefoucauld pour sa famille est une chose incomparable ; il dit que c’est une des chaînes qui nous attachent l’un à l’autre[2]. Nous avons bien découvert, et rapporté et rajusté des choses de sa folle de mère[3], qui nous font bien entendre ce que vous disiez quelquefois, que ce n’étoit point ce qu’on pensoit, que c’étoit autre chose. Vraiment oui, c’étoit autre chose, ou pour mieux dire, c’étoit tout ensemble ; l’un étoit sans préjudice de l’autre ; elle marioit le luth avec la voix, et le spirituel avec les grossièretés qui font

  1. 3. Gabrielle du Plessis de Liancourt, sœur du duc de Liancourt (qui mourut six semaines après sa femme, le 1er août 1674). Le prince de Marsillac était veuf, depuis 1669, de la petite-fine de ce duc. Saint-Simon, parlant du fils et de la belle-fille de la Rochefoucauld, dit, tome XI, p. 31 : « M. et Mme de Marsillac étoient issus de germains… Le grand-père et la grand’mère des mariés étoient frère et sœur. L’union étoit parfaite entre les deux familles, et ils logeoient tous ensemble, à Paris, rue de Seine, dans ce bel hôtel de Liancourt, qui est devenu l’hôtel de la Rochefoucauld. » L’abbé Arnauld nous dit aussi (tome XXXIV, p. 344) que c’est à l’hôtel de Liancourt qu’il alla voir la Rochefoucauld sur la fin de l’été de 1672. Bâti par les comtes de Montpensier, il avait appartenu au père de Turenne. « Il était rue de Seine où nous l’avons vu encore avec sa façade, sa belle cour et ses jardins, à l’endroit qu’occupe la rue toute nouvelle des Beaux-Arts. » (M. Cousin, Madame de Sablé, p. 101.)
  2. 4. Dans le manuscrit : « Qui nous attachent l’un l’autre. »
  3. 5. Mme de Marans.