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1675
ni blessé, ni prisonnier : ses gens n’écrivent point. M. de la Trousse, après avoir mandé, le jour de l’affaire, qu’on venoit de lui dire qu’il avoit été tué, n’en a plus écrit un mot ni à la pauvre Sanzei ni à Coulanges[1]. Nous ne savons donc que mander à cette femme désolée : il est cruel de la laisser dans cet état. Pour moi, je suis très-persuadée que son mari est mort ; la poussière mêlée avec son sang l’aura défiguré ; on ne l’aura pas reconnu, on l’aura dépouillé. Peut-être qu’il a été tué loin des autres par ceux qui l’ont pris, ou par des paysans, et sera demeuré au coin de quelque haie. Je trouve plus d’apparence à cette triste destinée, qu’à croire qu’il soit prisonnier et qu’on n’entende pas parler de lui.

Pour mon voyage, l’abbé le croit si nécessaire que je ne puis m’y opposer. Je ne l’aurai pas toujours, ainsi je dois profiter de sa bonne volonté. C’est une course de deux mois, car le bon abbé ne se porte pas assez bien pour aimer à passer là l’hiver ; il m’en parle d’un air sincère, dont je fais vœu d’être toujours la dupe : tant pis pour ceux qui me trompent. Je comprends que l’ennui seroit grand pendant l’hiver : les longues soirées peuvent être comparées aux longues marches pour être fastidieuses. Je ne m’ennuyois point cet hiver que je vous avois ; vous pouviez fort bien vous ennuyer, vous qui êtes jeune ; mais vous souvient-il de nos lectures ? Il est vrai qu’en retranchant tout ce qui étoit autour de cette petite table, et le livre même, il ne seroit pas impossible de ne savoir que devenir : la Providence en ordonnera. Je retiens toujours ce que vous m’avez mandé : on se tire de l’ennui comme des mauvais chemins ; on ne voit per-

  1. Mme de Sanzei étoit sœur de M. de Coulanges, et M. de la Trousse étoit leur cousin germain. (Note de Perrin.) Elle était alors dans sa terre d’Autry, près de Gien. Voyez tome II, p. 214, notes 10 et 11, et la lettre du 4 septembre 1675, p. 112 et 113.